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déplaisance ou qu’ils croyaient avoir à se plaindre de leurs chefs. Ceux qui n’étaient pas des volontaires avaient été triés un à un dans tous les régimens, qui avaient trouvé l’occasion bonne pour se débarrasser des mauvais sujets ou des sujets médiocres. Bref, parmi les conscrits que la mère patrie expédiait en Afrique, il y avait trop de mécontens et trop d’indisciplinés, dont il fallait rectifier les dispositions vicieuses. Il y avait aussi de très bons soldats, qui ne demandaient qu’à bien faire ; mais en débarquant à Massoua, ils n’avaient aucune idée du genre de services qu’on attendait de leur bravoure et de leur zèle. Il fallait du temps pour les mettre au fait, il en fallait surtout pour donner de la solidité à des unités de combat formées d’élémens hétérogènes.

La petite armée qui a été détruite à Adoua s’est bien battue ; mais, de l’aveu du général, elle manquait de cohésion, elle était en proie à ce qu’il appelle « le microbe dissolvant. » La faute n’en est pas à lui. Il avait mainte fois remontré à son gouvernement que, lorsqu’on veut faire des entreprises, il est bon de ne pas trop regarder à la dépense et de se croire assez riche pour payer sa gloire, que les armées improvisées ne sont pas « des familles de guerre, » et que le meilleur ouvrier ne peut se passer de bons outils. On n’avait pas voulu l’écouter, et, à l’heure des grands dangers et des suprêmes efforts, l’outil s’est trouvé insuffisant.

La préparation militaire était défectueuse, la préparation diplomatique ne l’était pas moins. La politique qu’on avait d’abord suivie, et qui était la bonne, consistait à entretenir les rivalités, les dissensions en Ethiopie ; c’était le meilleur moyen de prévenir les coalitions dangereuses et de s’assurer des alliances dans les cas difficiles. Divide et impera : ainsi en avait usé jadis la vieille Rome. Ce système de conduite était aisé à pratiquer dans un pays soumis au régime féodal, où les petits feudataires sont tourmentés du désir de se rendre indépendans et de ne relever que d’eux-mêmes, où les ras ou roitelets ne songent qu’à s’agrandir, où le roi des rois ne jouit que d’une autorité toujours enviée, toujours contestée, et ne gouverne effectivement qu’à la condition d’être comme Ménélik un souverain avisé et résolu, un homme de conseil et de main. L’Italie s’était ménagé des intelligences avec les populations musulmanes répandues le long des frontières orientales de l’Abyssinie, particulièrement avec l’Haussa, souvent désolé par les incursions et les razzias des Choans. Ce qui était plus important encore, elle avait d’étroites liaisons avec ses plus proches voisins, avec le Tigré et le ras Mangascia, lequel était fort mal