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LE GÉNÉRAL BARATIERI
ET SES
COMMENTAIRES SUR LA GUERRE D’ABYSSINIE

On connaît des généraux qui, après avoir essuyé une grande défaite dont leur pays les rendait responsables, se sont retirés dans une solitude et ont mis tous leurs soins à se faire oublier. On les accablait de reproches et peut-être d’injures ; on calomniait leurs intentions, leur conduite ; ils avaient beaucoup de choses à dire pour leur défense ; ils n’ont eu garde de se défendre ; ils sont restés bouche close et ont laissé s’écouler le torrent. Les uns se sont tus par sagesse ; ils savaient que, quoi qu’ils pussent dire, on ne les écouterait pas, que le vulgaire ne juge les hommes que sur l’heur et le malheur de leur destinée, que la capricieuse fortune est à ses yeux le seul arbitre dont les décisions fassent autorité, que, selon le mot d’un historien, « la multitude ne comprend guère que les dénouemens. » D’autres se sont tus par lassitude ; ils n’auraient pu se défendre sans accuser, il leur répugnait d’engager de bruyantes et inutiles querelles ; il leur a paru que, lorsqu’il faut renoncer au bonheur, le repos est le seul bien qui en puisse tenir lieu. Ceux qui avaient l’âme plus haute n’ont songé qu’à leur dignité, et ils ont pensé que le plus sûr moyen de la sauver était d’observer ce que les théologiens appellent « le silence de patience dans les contradictions. » Mais, quelle que fût leur raison de se taire, leur silence les a grandis dans l’estime publique. Le jour vient où les passions s’apaisent, et le vulgaire lui-même finit par reconnaître que se laisser accuser sans répondre n’est pas un mérite commun, que, pour pratiquer cette vertu surhumaine, il faut avoir l’âme d’un saint ou le cœur bien trempé d’un vrai soldat.

Il y a cependant des cas où il est bon de parler. Le général