Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais la solubilité, condition nécessaire, est-elle en même temps suffisante ; et le composé ferrugineux est-il réellement absorbé ? Les physiologistes prétendent démontrer aujourd’hui que ces médicamens ne pénètrent pas dans l’économie. Ils restent confinés dans le tube digestif ; ils le parcourent en y subissant des mutations diverses ; puis ils le quittent sans qu’une parcelle du fer qu’ils contiennent ait été retenue par l’organisme.

On se trouve ainsi en présence d’un paradoxe scientifique. Ce médicament que le physiologiste déclare n’être pas absorbé et qui reste étranger à notre corps, le médecin le prétend efficace, héroïque. Il cite les cures innombrables de malades que la médication martiale a remis sur pied, et chez qui en quelques semaines, les couleurs de la santé et les signes de la vigueur ont remplacé la faiblesse et la pâleur de l’anémie et de la chlorose. Il invoque l’expérience de tous les temps et de tous les lieux pour attester la vertu souveraine du fer. Pour décider le procès, on comprend bien que l’empirisme ne va plus suffire, et qu’il faut examiner la valeur scientifique des témoignages et pénétrer le fond des choses.


II

Rappelons d’abord ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir des propriétés médicinales du fer, et comment on le sait. Nous laisserons de côté les fables, les idées préconçues ou les théories de pure imagination qui établissaient un lien entre les qualités précieuses de ce robuste métal pour les usages de la vie et son utilité pour le corps lui-même. Dans les temps héroïques, le fer était rare ; le bronze était le métal usuel. C’est avec des haches de bronze que les Grecs d’Homère coupaient les arbres sur le mont Ida, et c’est avec des armes de bronze qu’ils combattaient contre les fils de Dardanus, tandis que le « fer éclatant, avec l’or, le cuivre rouge, ainsi que les femmes à la ceinture élégante » formaient les riches dépouilles attribuées à Achille dans le partage du butin, — et qu’une boule de fer était le prix décerné au vainqueur dans les jeux funèbres institués en l’honneur de Patrocle. Les armes de « fer brillant » constituaient un avantage inappréciable pour le guerrier ; elles doublaient sa force et lui donnaient la victoire. Il en était encore ainsi dans les premiers temps de Home, alors que Porsenna vainqueur interdisait aux Romains l’usage du fer pour les armes et ne le leur permettait