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fin réussit à se sauver, que l’élan est bon, mais que l’opiniâtreté est meilleure encore. Les chefs de l’armée, prêts après un premier succès à s’endormir sur leurs lauriers, à attendre des secours, à mettre en avant des prétextes plus ou moins plausibles, ou à se payer de cette raison « qu’on avait assez fait », apprirent par l’exemple de Jeanne que rien n’est fait tant qu’il reste quelque chose à faire. C’est cet accomplissement suprême qu’elle excellait à consommer tant qu’on ne lui liait pas les pieds et les mains.


Le lendemain de la levée du siège, 9 mai, Jeanne, sans prendre garde à sa blessure, alla rendre compte au Dauphin de ce qu’elle avait fait et le supplier de partir aussitôt pour Reims. Ni le roi, ni surtout ses conseillers ne tombèrent d’accord avec elle : l’ennemi était fort ; peu de ressources pour entretenir l’armée, etc. Qui ne sait que les argumens ne manquent jamais, quoi que ce soit qu’on entreprenne, pour cacher le manque de résolution ? Pour ces âmes faibles et sèches et bassement envieuses, Orléans même n’était pas une preuve suffisante, Orléans ne disait rien !

Elle réussit un jour à entrer dans le cabinet du roi : « Noble Dauphin, lui dit-elle en embrassant ses genoux, ne tenez pas tant et de si longs conseils. Allez plutôt à Reims recevoir la couronne qui vous appartient. » La méfiance et l’irrésolution la mettaient au désespoir ; elle pleurait, se plaignait dans ses prières de n’être pas crue ; l’impérieuse voix lui répondait : « Fille Dé ! Va ! Va ! Je t’aiderai. Va ! » et elle continuait à porter sa croix…

Le 10 juin seulement, après plus d’un mois, on lui délia les mains ; on lui permit de marcher avec l’armée du duc d’Alençon pour dégager les points que les Anglais continuaient d’occuper sur la Loire. Le 14 juin, elle prit d’assaut Jargeau : le 15, le pont de Meung ; le 17, elle occupa Beaugency ; le 18, elle défit Talbot et Falstolf, dans une rencontre en rase campagne. Résultat pour les cinq jours : deux assauts et une bataille ; voilà qui n’eût point déparé la gloire de Napoléon lui-même, et voilà ce que Jeanne savait faire quand on ne l’entravait pas !

Ainsi succombait une armée destinée à accomplir la conquête de la France et que les champs d’Orléans venaient d’engloutir tout entière. La suprématie anglaise était ébranlée jusque dans ses racines ; et pour cela trois journées d’efforts devant Orléans, cinq dans les environs avaient suffi !

« L’effet de cette campagne de huit jours, a dit Henri Martin,