Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle l’avait promis le matin. Talbot et Suffolk, généraux anglais qui commandaient sur la rive droite, n’avaient prêté aux leurs aucun secours.

Le 8 mai, les Anglais évacuèrent les autres bastilles, abandonnèrent tout ; les débris de leur armée firent retraite dans deux directions, vers Beaugency et vers Jargeau. Trois chocs successifs avaient réussi à rompre un siège prolongé pendant sept mois. Orléans célébra solennellement sa délivrance ; elle a continué depuis à fêter chaque année l’anniversaire du 8 mai par une procession solennelle.


On voit bien maintenant toute la grandeur de la figure de Jeanne. D’une part, elle est une enfant ; et de l’autre, le plus sage des conseillers et des capitaines, un intrépide soldat, un logicien fécond dans la dispute, un moraliste profondément versé dans la connaissance du cœur humain. Une visionnaire si l’on veut, mais aussi une robuste, une saine, une normale nature, infiniment attachée aux pratiques du culte, exempte pourtant de toute superstition. On lui apporte des anneaux en la priant de les toucher : « Touchez-les vous-même, dit-elle avec un doux sourire ; ils seront aussi bons. » On lui demande : « La guerre ne vous effraie donc pas ? — Je ne crains que la trahison », répond-elle, prévoyant déjà le sort qui l’attend. Cette régente farouche de masses armées pouvait exterminer sans merci l’adversaire, mais elle ne pouvait voir sans pleurer l’effusion du sang. Après la levée du siège, le peuple commence à la considérer comme une sainte et à lui rendre une sorte de culte ; mais elle reste toujours la même jeune fille simple et douce. « En vérité, sans le secours de Dieu, je ne m’en serais pas tirée sauve », dit-elle, sachant bien à quel danger elle s’est exposée. Inébranlable cependant quand la fermeté devient nécessaire, elle sait plier à sa volonté toute la confrérie des Gaucourt, et ne cède pas même à la violence ; on l’a bien vu dans l’affaire du 7 mai.

Et comme elle comprend profondément les vérités militaires ! Comme elle voit clairement que là où « le brave se risque, Dieu aide au moins vaillant[1] » ; qu’il faut pousser droit au but ; qu’ayant commencé à frapper, il faut frapper jusqu’à la fin, sans donner à l’ennemi le temps de se reconnaître ; que l’impétuosité

  1. Proverbe populaire russe.