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de ne pas piller, de ne pas blasphémer, de communier, de se confesser ; elle leur demanda de renvoyer les filles ; et ces hommes endurcis, abrutis, mais bons au fond du cœur, obéirent à la sainte enfant sans attendre même qu’elle eût fait ses preuves sur le champ de bataille !

Autre fut l’attitude des chefs. Quelques-uns seulement, La Hire par exemple, pensant et sentant comme les soldats, acceptèrent sincèrement le prestige de la Pucelle ; les autres, nourrissant contre elle une haine sourde et secrète, mais d’autant plus puissante, étaient prêts à lui nuire selon leur possible, dès ses premiers pas.

La première question à résoudre concernait la ligne des opérations dirigées vers Orléans. Le pont le plus rapproché d’Orléans que les Français eussent en leur pouvoir était justement le pont de Blois ; en conséquence, on pouvait marcher par la rive gauche ou par la rive droite. Jeanne, comme tous les grands stratèges, voulait aller droit au but : elle voulait marcher par la rive droite. Elle ne se dissimulait, ni non plus ne s’exagérait les difficultés qu’elle devait rencontrer, à savoir : 1° les châteaux de Beaugency et de Meung, occupés par les ennemis ; 2° leurs bastilles, dont elle avait à franchir la ligne pour atteindre aux murs d’Orléans. Ces obstacles une fois surmontés, la troupe et le convoi entraient dans la ville ; or, on pouvait éviter simplement les châteaux dont la garnison était faible ; quant aux bastilles, la suite fit bien voir que, conformément aux présomptions de Jeanne, elles valaient en tout fort peu de chose. Il est vrai que les Anglais auraient pu concentrer et porter au-devant de Jeanne un détachement de quelque importance ; pourtant, on sait qu’ils devaient s’en abstenir et rester tranquillement dans leurs retranchemens. Quant à elle, soit que ses voix l’eussent avertie, soit qu’elle eût pénétré ces choses grâce à sa faculté de lire dans l’âme de l’adversaire, peu importe : elle les savait.

La marche par la rive gauche ne conduisait pas à Orléans mais devant Orléans, puisque Orléans se trouve sur la rive droite. En amont les Français n’avaient aucun pont ; il fallait donc, pour gagner la ville par ce chemin détourné, traverser le fleuve en bateau, et pour cela longer la rive en défilant devant la bastille de Saint-Loup et le guet de Saint-Jean-le-Blanc, redescendre la Loire jusqu’à hauteur de ces mêmes ouvrages, et débarquer de l’autre côté. Suivre cet itinéraire, c’était donc compliquer à plaisir