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merveilleux, extraordinaires au sens absolu, et qui n’ont cessé de nous paraître tels que parce qu’ils nous sont devenus familiers ? En revanche, merveilleux étaient pour les Mexicains le fusil et le cheval qu’on leur faisait voir pour la première fois. Nous marchons entourés d’un impénétrable mystère. Perspicacité profonde, divination, c’est la même chose ; et Pitt a été prophète au sujet de Napoléon, bien que de pareilles prophéties se fassent communément admettre et ne provoquent pas l’incrédulité. Des phénomènes transcendans se sont produits jadis, aux époques de grande tension morale ; on les connaît, on sait qu’ils apparurent lorsque la coupe des douleurs et des injustices venait à déborder. Mais ces paroxysmes sont loin de nous ; on n’y croit plus, ou plutôt on a l’air de n’y plus croire…


On connaissait la piété de Jeanne, combien elle aimait l’église et le son des cloches ; on savait sa douceur et sa sympathie pour les maux d’autrui ; mais on ne savait pas qu’en elle la vie supérieure avait triomphé de la corporelle, et que le don de rester à jamais enfant lui était accordé. Elle avait grandi en force et en beauté, mais sans devoir jamais connaître les preuves physiques qui marquent la formation de la femme.

Au lieu de ces misères, ses visions commencèrent à la hanter. Une fois, — elle avait treize ou quatorze ans, — ce fut une éblouissante clarté enveloppant un personnage ailé, de taille majestueuse ; tout autour, volaient d’autres esprits : « Je suis l’archange Michel. Je viens t’ordonner de par le Seigneur que tu t’en ailles en France pour porter secours au dauphin, et que par toi il recouvre son royaume. » La jeune fille s’effraya et pleura ; mais la vision reparut plus brillante. Deux autres fantômes, « couronnés moult précieusement et richement » accompagnaient cette fois le chef des milices célestes ; ces apparitions devinrent de plus en plus fréquentes. La crainte ayant fait place à la joie et à l’amour, Jeanne attendait avec impatience ses frères de paradis, elle pleurait de les voir partir et leur demandait de la prendre avec eux dans le ciel.

Et sans cesse ses voix lui parlaient de sa mission, « de la grande pitié que c’était au royaume de France », du pouvoir qu’elle seule avait de mettre fin à ces maux : elles lui ordonnaient de se rendre auprès du Dauphin pour le conduire à Reims et l’y faire couronner. Jeanne hésitait. Elle, une pauvre fille, monter