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passé presque inexplicable a été éclairé d’une lumière subite.

L’autre chef-d’œuvre des Romains, c’est l’aménagement des eaux. « Ciel et terre pauvres en eau », dit Salluste. « Pendant cinq mois de l’année, il ne pleut nulle part, même dans le nord, trop arrosé en hiver. En toute saison, dans le sud, il ne pleut pas assez. Partout l’eau fait défaut pendant une partie de l’année, et le résultat de cette disette, c’est la stérilité, la mort[1]. »

Recueillir, conserver, diriger, purifier l’eau bienfaisante, s’en montrer avide et avare, et l’empêcher, s’il se peut, d’aller se perdre dans la mer, « combattre les excès d’un régime essentiellement torrentiel », tel est le problème que les Romains ont poursuivi et résolu pendant sept siècles. L’eau qui tombe des toits, l’eau qui glisse à la surface de la terre, l’eau qui bouillonne pendant quelques heures dans les oueds, l’eau qui filtre doucement sous les herbes, ils ont tout gardé, capté, décanté dans leurs citernes à compartimens, contenu dans leurs barrages, recueilli en cascades le long des gradins cultivés, conduit par l’irrigation, évacué par le drainage, porté au loin sur leurs aqueducs. Ils ont employé tantôt la douceur et tantôt la violence ; ici des canaux sinueux et subtils, là de massifs barrages, avec de telles ressources, que, si l’on en excepte l’usage plus étendu du siphon, l’art de nos ingénieurs ne saurait aller plus loin, et que sur certains points, pour l’aménagement des citernes, par exemple, il est certainement dépassé. Ils aimaient l’eau comme un peuple méridional sait l’aimer. Quand par hasard, dans ce pays sec, elle jaillissait spontanément du sol, ils étaient saisis d’un sentiment d’adoration que nous avons de la peine à comprendre, nous autres gens du nord, gorgés d’humidité. Leur industrie éclatait alors en hymne de joie, florissait en statues élégantes, se jouait dans les bassins de marbre, et là où nos ingénieurs se contentent de poser un robinet, ils traçaient comme à Zaghouan l’ellipse gracieuse d’un temple des eaux : culte aimable, bien supérieur aux formules géométriques dans lesquelles nous emprisonnons la nature, car il enseignait, par un symbole transparent, le respect de la divinité mobile qui tient entre ses mains la prospérité de l’Afrique, et le prix de ses faveurs capricieuses.

  1. P. Gauckler, Notice archéologique, ibid.