Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malaisée et plus d’une fois décourageante en réalité. Edouard Thouvenel, ce diplomate d’une habileté incontestée, cette haute intelligence, ce noble caractère, a monté tous les degrés de sa carrière durant une existence relativement courte, et ses fonctions diverses l’ont de bonne heure éloigné de l’École. Mais le ministre plénipotentiaire de France à Athènes, après avoir quitté cette situation, qu’il ait été, avec le même titre à Munich, puis ambassadeur à Constantinople, puis ministre des Affaires étrangères et sénateur, au milieu des préoccupations les plus graves, n’a pas un seul jour perdu de vue l’institution dont, en 1847, secrétaire de légation de M. Piscatory, il avait, à côté de son chef, secondé les premiers efforts. De loin, sans nous le dire, il veillait à l’avancement, aux récompenses, d’accord avec l’ami de là-bas. Deux jours avant de s’éteindre, au palais du Luxembourg, où il était grand référendaire, il se crut guéri par une heureuse illusion de mourant ; il lit appeler un ancien membre de l’Ecole et lui proposa de le suivre à Constantinople où il désirait retourner comme ambassadeur : dernier et précieux témoignage d’affection donné à tous dans la personne de celui-là.


VII

Je m’arrête ici. Un autre écrira l’histoire tout entière de l’Ecole depuis sa naissance jusqu’à son prochain cinquantenaire. Je n’ai voulu que rétablir la vérité au sujet des deux premières promotions. J’espère avoir réduit à néant la légende, trop longtemps répétée, dont le trait saillant était : pendant quatre ou cinq ans, des phrases, rien ; tout à coup, des œuvres. C’eût donc été, à un moment précis, une révolution. Or, il n’y a eu, de 1847 jusqu’aujourd’hui, qu’une évolution, et la plus naturelle. Les fondateurs ne s’étaient pas trompés ; leur idée était grosse d’un avenir, elle l’a produit peu à peu. Les « Argonautes » normaliens, sur leur navire, à peine pourvu d’agrès et secoué par des vents contraires, n’ont pas conquis la Toison d’Or : ils le savent bien ; mais ils ont ouvert les routes de la géographie comparée, de la topographie, de la mythographie, de la description des monumens antiques, de l’histoire de l’art, de l’esthétique ; ils s’y sont méthodiquement avances et en ont rapporté, non des amplifications de rhétorique, mais des résultats qui, pour la plupart, demeurent acquis.

Afin d’en parler exactement, j’ai eu sous les yeux les