Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce travail demeure comme un type d’exploration méthodique et de forte érudition. Certes, de ce côté « les Argonautes », ainsi qu’on a longtemps surnommé les premiers élèves d’Athènes, furent, à leur grande satisfaction, de plus en plus dépassés, mais dans le chemin qu’ils avaient ouvert.


IV

Restèrent-ils indifférens aux questions qui regardent la religion grecque, la mythologie, la géographie mythologique ? Ou bien, tout au contraire, de ce côté encore, ont-ils frayé la route, autant qu’il leur était possible ?

Dans son beau livre, la Mer, Michelet a décrit, avec toute la puissance de son style, une tempête dont il fut témoin au bord de l’Océan. La maison où il s’était installé tremblait sous les coups formidables du vent ; les rafales mugissaient ; des vagues hautes comme la maison donnaient l’assaut aux murs et crépitaient contre les fenêtres, semblables à une grêle colossale. Après avoir contemplé longtemps en frissonnant d’horreur ce terrible spectacle, il n’y tint plus, et, au comble de l’émotion, apostrophant ces lames énormes qui ne reculaient que pour revenir plus furieuses, il s’écria tout haut : « Monstres, que me voulez-vous ? » Les Grecs ne parlaient pas autrement aux eaux marines courroucées. Le mot de Michelet est un retour passager de l’imagination à l’anthropomorphisme antique. La Grèce antique, comme lui, mais pour des siècles, a vu dans la nature des monstres et des dieux.

Comment retrouver, reconstituer, exactement définir ces divinités nombreuses et diverses ? Sera-ce seulement en lisant les plus anciens poètes ? Assurément, il faut les interroger : ils sont les dépositaires de la tradition religieuse. Cependant, cette tradition qu’ils reproduisent plus ou moins fidèlement, les a précédés. D’où venait-elle ? À cette question une réponse précise est impossible. Toutefois, un fait est certain : la tradition est née de la primitive interprétation de la nature. Les mythes les plus anciens sont aussi les plus voisins de la nature qui les a suggérés. De là, deux règles aujourd’hui adoptées en mythographie : rechercher les plus anciens mythes ; les étudier le plus possible dans la région où ils sont nés, en les comparant avec la nature de cette région. Les poètes y aideront sans doute ; mais il faudra