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REVUE. CHRONIQUE.

Serbie, engagement qu’il n’a peut-être pas tenus d’une manière tout à fait stricte, à la suite et par le fait même des rapports qu’il a eus avec le Sultan. Quoi qu’il en soit, le prince Ferdinand a obtenu trois bérats pour les évêques bulgares en Macédoine, et on connaît, dans ces pays où la religion se confond intimement avec la nationalité, l’importance politique d’une concession de ce genre. Est-ce assez ? Non ; il est question maintenant de nommer le prince Georges gouverneur de la Crète. La Grèce serait donc récompensée de ses défaites ; la Bulgarie aurait obtenu une satisfaction précieuse ; et la Serbie n’aurait rien du tout ! On comprend qu’il y ait de la mauvaise humeur à Belgrade. Tout, depuis quelque temps, a servi de prétexte à ce sentiment, même d’assez menus faits, qui sont passés inaperçus et ignorés du grand public, tels que l’incident de Kilendar, mais qui n’en ont pas moins laissé des traces. Kilendar est un monastère situé près du mont Athos et qui, d’après l’histoire ou la légende, a été construit du temps des rois serbes. Aussi lorsque le roi Alexandre, en 1895, est allé voir le Sultan à Constantinople, il n’a pas manqué de passer par Kilendar et de visiter pieusement le monastère. Sa visite avait produit un grand effet en Serbie. Le bruit a couru récemment que le prince Ferdinand avait l’intention d’aller à son tour visiter le monastère de Kilendar : on avait peut-être trouvé, dans l’histoire ou dans la légende, de quoi justifier aussi ses prétentions éventuelles sur ce sanctuaire intéressant. Le roi de Serbie s’est ému de ce projet, et il a fait savoir au prince Ferdinand qu’il regarderait une visite faite par lui à Kilendar comme une offense personnelle. Le prince Ferdinand est trop habile pour commettre une démarche compromettante. Il a répondu à Belgrade qu’il n’avait pas eu l’intention qu’on lui prêtait : mais, en même temps, il a pris du côté de la frontière bulgaro-serbe quelques mesures militaires, qui en ont aussitôt provoqué d’analogues en Serbie. Tout cela s’est passé discrètement, et n’aura sans doute aucune conséquence ; ce sont des avertissemens qui sont compris seulement de ceux qui se les adressent ; il n’en résulte pas moins une situation tendue entre Belgrade et Sofia, et le concert balkanique a été rompu avant le concert européen.

Les conséquences de ce nouvel état de choses ne sont pas sans importance. En temps de paix, et quelque solide que la paix puisse paraître, il faut toujours penser à la guerre, car elle reste toujours possible. M. Albert Decrais, ancien ambassadeur de la République à Vienne, a prononcé sur le budget des affaires étrangères un discours très documenté, dans lequel il a touché rapidement, trop rapidement