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entré dans ce qu’on a appelé la Ligue balkanique, ligue qui a contribué, elle aussi, au maintien de la paix. On a vu ces petits souverains, princes ou rois, se faire mutuellement des visites dont quelques-unes au moins auraient paru impossibles quelque temps auparavant. Et cet état de choses avait peut-être été le chef-d’œuvre politique du prince Lobanof, le ministre habile, à la main prudente et adroite, que la Russie a perdu. Naguère encore, l’empereur François-Joseph, dans la visite qu’il a faite ou qu’il a rendue à l’empereur Nicolas, a échangé, dit-on, avec lui des assurances en ce qui concerne les Balkans. Ces assurances ont-elles été tout à fait respectées ? Il faudrait, pour le dire, savoir exactement en quoi elles ont consisté, et nous l’ignorons ; mais tout donne à supposer qu’elles avaient pour objet essentiel le maintien du statu quo. Il est peu croyable que la Russie ait renoncé bénévolement au bénéfice d’une situation aussi précieuse pour elle. Pourtant une petite révolution de palais s’est produite à Belgrade, par l’intervention du roi Milan, qui arrivait de Vienne, et qui, fût-il arrivé d’ailleurs, n’en aurait pas moins évidemment obéi, comme il l’a fait toujours, aux suggestions autrichiennes. Le roi Milan a pris aussitôt une attitude militaire ; il s’est fait nommer par son fils généralissime de l’armée serbe ; après quoi, il est revenu à Vienne, et il a été reçu en uniforme de général par l’empereur François-Joseph, qui s’est prêté à cette manifestation au moins inutile. On se moquerait de nous, si nous disions que le roi Milan, à la tête d’une armée, est un danger pour l’Europe ; il a prouvé déjà qu’il n’en était un que pour son pays. Mais les manœuvres multiples, tant politiques que militaires, auxquelles il vient de se livrer, dénotent des intentions dignes d’être observées.

Le roi Milan, après avoir renversé du pouvoir le parti radical dont on connaît les tendances russophiles, veut l’en écarter pour longtemps grâce à des élections nouvelles, où il exercera sur le corps électoral une pression formidable. Il le faudra, d’ailleurs, car la majorité du pays est incontestablement radicale. Les prétextes ne manqueront pas pour provoquer quelque mécontentement dans l’opinion. Ce mécontentement existe déjà, il suffira de le développer. La Serbie croit avoir à se plaindre des résultats de la dernière guerre. On a fait appel à sa sagesse, comme à celle des autres États balkaniques, pour éviter les conflits qui auraient pu amener des complications générales. On a dit très haut que, la guerre une fois terminée, chacun serait traité suivant sa conduite, et que la Grèce, fût-elle victorieuse, ne retirerait aucun profit de son agression contre la Turquie. Le prince de Bulgarie avait pris, de son côté, des engagemens envers le roi de