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scier la moitié ; mais cette réduction même n’empêcha pas le meuble « nouveau » d’être à tout instant une cause d’accidens, jusqu’au jour où William Morris se résigna enfin à le mettre en pièces. Morris paraît d’ailleurs avoir, dès le début, pris très au sérieux son rôle d’artisan. Il venait chez ses anciens collègues d’Oxford vêtu d’une blouse bleue, les mains toutes tachées de teinture : les domestiques croyaient avoir affaire à un boucher, et s’étonnaient de le voir admis dans l’intimité de leurs maîtres.

Ainsi les souvenirs inédits, les traits piquans, les détails caractéristiques abondent dans ce volume des Lettres de Rossetti à Allingham. Mais ce n’est point dans les lettres mêmes de Rossetti qu’on les trouve. On les trouve dans les longues et savantes notes dont M. Birkbeck Hill a fait suivre, une à une, les lettres du recueil, et qui forment, dans leur ensemble, un répertoire incomparable de documens divers sur l’histoire de la littérature et de l’art anglais pendant la période préraphaélite. Il suffit que Rossetti cite un nom, dans une de ses lettres, pour qu’aussitôt M. Hill s’enquière, à notre intention, de tout ce qui a trait au personnage nommé. Rossetti date-t-il une lettre de Finchley, ou de Hastings ? M. Hill nous apprend pourquoi, à cette date, il se trouvait dans cet endroit, en quelle compagnie il y demeurait, et à quoi il s’y occupait. Le frère du peintre-poète, ses camarades, ses élèves, toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont été mêlées à sa vie sont appelées en témoignage, invitées à éclaircir ou à compléter pour nous l’intelligence des moindres passages de ses lettres. L’ouvrage de M. Birkbeck Hill est, en vérité, un modèle de la façon dont on devrait publier, pour en rendre la lecture pleinement profitable, la correspondance d’un homme célèbre.

Ou plutôt c’est un modèle de la façon dont on devrait publier la correspondance d’un homme célèbre lorsque cette correspondance n’offre point, par elle-même, un intérêt suffisant. Et tel est bien le cas, il faut l’avouer, pour les lettres de Dante Gabriel Rossetti à William Allingham. Je sais que, de l’avis d’éminens critiques anglais, ce sont « les meilleures lettres de D. G. Rossetti qu’on ait publiées jusqu’ici ». Allingham n’était pas seulement pour le peintre-poète un ami indulgent et sûr : poète lui-même, et de grand mérite, il passait, aux yeux de tous ceux qui l’avaient approché, pour un juge excellent en matière de littérature ; et à personne peut-être Rossetti ne s’est ouvert autant qu’à lui. Mais en vain on chercherait, dans les soixante-cinq lettres publiées