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devrait être imprimée sur des pages très larges, avec une grande marge des deux côtés, comme on imprime les documens officiels, en réservant des espaces pour les notes. Ou bien, si Robert tient absolument à publier ses poèmes de la façon ordinaire, pourquoi ne met-il pas au moins, sur le verso des pages, l’explication de ce qu’il veut dire ? »

Voici un épisode de la carrière de peintre de Dante Gabriel Rossetti. Pour un grand tableau « moderne », Retrouvée, auquel il devait du reste travailler toute sa vie sans jamais l’achever, Rossetti avait besoin de peindre, d’après nature, un veau blanc. Son maître et ami le peintre Madox Brown lui dit un jour que, tout près de la petite maison de campagne qu’il avait louée à Finchley, il y avait une ferme où il avait vu un veau blanc. « Venez le peindre, ajouta-t-il, vous passerez la nuit sur un matelas que nous étendrons dans le salon. » Mais il avait compté sans l’inexpérience et la conscience de Rossetti qui, n’ayant encore jamais peint, ni peut-être même jamais vu un veau, n’était pas homme à se contenter d’une séance de quelques heures. Longtemps avant que son esquisse fût achevée, le veau qui lui servait de modèle avait cessé d’être un veau : on dut en chercher un autre ; et jusqu’à la fin de l’été Rossetti resta chez Brown, passant les nuits à parler de poésie, et la plus grande partie des journées à dormir sur son matelas, de sorte que ni la femme, ni les enfans de son hôte ne purent jouir, cette année-là, du salon de leur cottage.

Veut-on voir maintenant Rossetti professeur de peinture ? Il s’était engagé, sur la demande de Ruskin, à faire un cours par semaine au Collège des Ouvriers, fondé en 1854 par Frédéric Maurice. Il enseignait la figure, Ruskin s’étant réservé la classe de dessin d’ornement, « Il nous faisait commencer par la couleur, raconte un de ses élèves. Beaucoup d’entre nous ne savaient absolument pas dessiner, mais cela même ne l’arrêtait pas. Qu’on sût ou non dessiner, la couleur seule lui importait. Il nous mettait sous les yeux un oiseau ou un enfant, et nous disait, sans autre explication : « Peignez cela ! » Souvent il nous apportait, pour nous les montrer, des peintures qu’il avait ébauchées dans son atelier. Il aurait voulu nous voir tous nous employer à des œuvres d’imagination, à des scènes d’après la poésie, l’histoire, ou la mythologie. »

Plus tard, Rossetti prit une part des plus actives aux essais de rénovation de l’art décoratif tentés par William Morris. Un des premiers meubles produits par les novateurs fut un sofa qui projetait, à ses deux extrémités, une longue barre de bois, si longue qu’à passer auprès du sofa on ne manquait point de rester accroché. On dut en