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patrie ; il entre au régiment ; tu lui mets un fusil entre les mains et tu lui apprends à s’en servir. Vienne la guerre, il subira le froid, la faim, il couchera dans la boue, il fera des étapes de vingt lieues. Le clairon sonne : il va courir à l’ennemi, défendre l’étendard, risquer cent fois sa peau. Ce n’est plus le même homme. Il a appris le courage, l’endurance, la solidarité, l’héroïsme, toutes les plus hautes vertus : sans la guerre, il les ignorerait encore. » Cette âme, dans un pays où tout le monde est soldat, il ne faut pas que nous y apportions l’écho troublant de nos passions, mais il faut que tour à tour nous y participions et que nous apprenions à nos fils à la revêtir. Il y a encore une psychologie de l’armée. Le sentiment militaire est encore une réalité. Fait d’honneur, de loyauté, de désintéressement, n’brave les soupçons. Dans une société démocratique, où l’on n’invoque plus la foi de gentilhomme, on sait encore ce que c’est qu’une parole de soldat.

Je n’ai fait qu’analyser la conception qui se dégage du livre de MM. Paul et Victor Margueritte, en rassembler les traits épars, les réunir en faisceau, retrouver l’idée première qui a présidé au choix de leur sujet, à l’invention des épisodes, qui a déterminé la nature et le sens de leur récit. Peut-être aperçoit-on maintenant pourquoi ce récit produit une si noble impression. C’est que par-dessus les fautes des individus, et les erreurs d’un régime, par-dessus les souvenirs de déroute, les tableaux d’humiliation et de désolation, ils ont dressé cette grande image de l’Armée, impersonnelle, silencieuse, impassible, disciplinée, fidèle à ses traditions, inébranlable dans son attachement à un devoir indiscuté. Et les scènes qui se sont succédé sous nos yeux, scènes de carnage, scènes d’hôpital, scènes de trahison, scènes d’héroïsme, toutes n’avaient qu’un objet, qui était de rendre cette image plus saisissante. De là vient l’opportunité de ce livre qui se trouve paraître à son heure. Car depuis l’époque à laquelle il nous reporte, des années se sont passées, des événemens considérables sont intervenus, nous avons repris notre rang dans le monde. L’avenir s’ouvre devant nous assez plein de promesses pour que nous puissions, non sans souffrir, mais sans trembler, jeter un regard en arrière. Et nous avons assez bien réparé nos fautes pour que nous puissions les avouer sans rougir. Le calme s’est fait : c’est le moment de recueillir la leçon que comportent toutes les grandes crises nationales. Au milieu d’une paix longue et glorieuse il est bon de rappeler les luttes passées. Mais de cette paix elle-même il faut rendre grâce à l’armée qui nous en garantit le bienfait. Elle se tient au milieu de nous, cette armée, comme la dernière institution qui nous reste encore inébranlée, celle à qui