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héroïsme ne serait pas inutile. Ces souffrances des nôtres, plus mal elles ont été récompensées, plus elles doivent nous être chères. Et d’ailleurs l’héroïsme est-il jamais inutile ? Dans l’histoire des peuples comme dans celle des individus, il n’est pas un acte, si humble soit-il, qui n’ait de lointains prolongemens. Les jours d’épreuve font partie intégrante de la vie d’une nation : ce sont les lendemains qui décident de tout. Aucune perte n’est irréparable, si ce n’est celle de la confiance et de l’estime de soi. Aux souffrances vaillamment supportées par ceux qu’un chef indigne immobilisa sous les murs de Metz, à la dignité qu’ils ont su conserver dans le malheur, nous devons que la foi nous soit restée dans les vertus de notre armée.

Nous touchons ici à l’idée maîtresse de l’œuvre de MM. Paul et Victor Margueritte, à celle qui lui donne sa signification et sa portée : je veux dire la conception qu’ils se font du méfier militaire, l’interprétation qu’ils nous présentent du devoir du soldat et de son rôle dans la société d’aujourd’hui. Cette idée est celle même qu’ils ont voulu incarner dans le personnage de Du Breuil. En introduisant celui-ci dans leur récit, ils n’ont pas songé seulement à se servir de lui comme du personnage de convention dont on a besoin pour faire défiler les événements devant lui. Ils ont songé en outre à en faire un être vivant. Ce n’est pas un être d’exception. Il n’a pas de mérites particulièrement brillans. Il est brave, comme tant d’autres. Il remplit son devoir, comme des milliers d’autres l’ont rempli. Cela même fait l’intérêt de cette création et lui prête la valeur d’un type. Depuis le début de la guerre, Du Breuil est alarmé dans sa clairvoyance. Il a eu le spectacle de trop d’incurie, la preuve de trop de maladresse. Ces ordres qu’il est chargé de transmettre, il s’est surpris maintes fois à les désapprouver. Il a vu se poser à lui de terribles points d’interrogation. Il a entendu gronder en lui les mots décourageans : « Où allons-nous ? » Dans la suite le soupçon s’est changé en certitude, la certitude en évidence. Alors s’est noué un drame qui torture sa conscience. Dans quelle mesure est-on tenu à l’obéissance ? Ne peut-il pas se présenter des circonstances qui délient le soldat de son serment ? « Une voix secrète lui souffla : obéis et tais-toi. L’armée n’a de raison d’être que disciplinée. Seule, la discipline, sourde, muette, aveugle, fait sa grandeur et sa force... Et de nouveau le cri du bon sens dominait : l’obéissance passive, aujourd’hui, serait un crime. Lorsque le général en chef perd la tête, manque à ses - devoirs et livre ses troupes, les subalternes ne doivent prendre conseil que de leur courage et de leur attachement au pays. » Heures d’angoisse où la volonté de faire son devoir ne suffit pas, mais où il faut chercher de-