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provinces napolitaines. En faisant voter le milliard des émigrés, la Restauration, en fait et quoiqu’elle en eût, amena l’ancienne société à contresigner les titres de la société nouvelle ; ainsi moins de vingt-cinq ans ont suffi, en France, pour opérer un changement complet dans le régime de propriété. Voilà pourquoi les luttes politiques du XIXe siècle, si acharnées que parfois on les ait vues, n’ont troublé notre peuple qu’à la surface ; les traits que se décochaient entre eux les divers partis et les divers régimes ne faisaient qu’effleurer l’épiderme de la nation ; ils n’en pénétraient ni n’en remuaient les moelles. Car aucun de ces partis, aucun de ces régimes ne remettait en péril la stabilité de la propriété ; et les compétitions électorales avaient pour but de donner d’autres maîtres aux hommes, mais non point aux terres. Tout au contraire, dans l’Italie méridionale, la question des domaines subsista comme une arme perpétuelle aux mains des divers partis politiques.

Les Bourbons gardaient cette arme au fourreau, ou bien ils la brandissaient, suivant que la bourgeoisie libérale se tenait tranquille ou s’essayait à remuer : parfois ils accordaient tacitement à cette bourgeoisie, comme rançon de son bon esprit, l’ajournement des comptes qu’elle aurait eus à rendre pour l’occupation illégale ou gratuite de beaucoup de terres ; plus souvent, ils avaient des complaisances paternelles pour les Gracques de village qui, réveillant dans les foules l’esprit de justice, inquiétant la classe moyenne au sujet de ses propriétés, lui enlevaient le goût et le loisir de s’agiter pour des libertés. Lorsqu’une royauté nouvelle, cordialement acclamée dans les sphères qui se qualifiaient d’éclairées, se fut superposée aux populations méridionales, les communes furent rendues autonomes ; une vie politique commença de s’y faire jour ; et la question domaniale devint le tremplin qu’exploitèrent les uns contre les autres les partis hostiles. Gros et petits bourgeois en vinrent aux prises, les premiers pour garder en sécurité le fruit de leurs demi-usurpations, les seconds pour ajouter à leurs doléances et à leurs chicanes le surcroît de crédit et les chances de succès que donnent les fonctions officielles. De là l’âpreté, tout à fait unique, qu’atteignirent les luîtes municipales dans certaines communes italiennes : intrigues et manifestes, invectives et plaidoyers, tout tendait à montrer que l’enjeu de la lutte n’était point seulement la puissance ou l’honneur des compétiteurs, mais aussi et surtout leur richesse. Qu’on se