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confondent, le contraire, cependant, se remarque aussi quelque- fois. Dans la disposition des écrivains de chaque âge, l’ordre chronologique ne sera pas uniquement considéré : les écrivains de chaque genre pourront former autant de classes, et ces classes être distribuées suivant le plus ou moins d’influence que chaque genre aura exercé sur les autres. De cette façon on verra facilement les progrès des différentes parties de la littérature et de quelle manière chacune a pu agir sur les autres, les aider ou leur nuire[1]. » Ce que le savant helléniste demandait là, la doctrine évolutive nous permettra tôt ou tard de le faire ; et ces « âges littéraires » qu’il ne pouvait encore déterminer que du dehors, d’après des signes tout extérieurs, on les précisera quelque jour au moyen d’une connaissance exacte et approfondie des lois ou des conditions de l’évolution des genres.

Mais auparavant, il faudra résoudre un premier problème, qui est celui de la détermination du « caractère essentiel » d’une littérature donnée, la française ou l’anglaise, l’italienne, l’allemande, l’espagnole ; et, pour cela, l’étudier dans son rapport avec les autres[2]. Je dirais à ce propos que c’est ce que j’ai moi-même tâché de faire pour la littérature française, si je n’avais un bien meilleur exemple encore à produire, comme étant moins personnel ; et c’est celui de la définition du « caractère essentiel » de la peinture hollandaise, telle qu’Eugène Fromentin l’a donnée dans ses Maîtres d’autrefois. Se rappelle-t-on cette page ingénieuse et brillante ? « La peinture hollandaise, on s’en aperçut bien vite, ne fut et ne pouvait être que le portrait de la Hollande, son image extérieure, fidèle, exacte, complète, ressemblante, sans nul embellissement. Le portrait des hommes et des lieux, des mœurs, des places, des rues, des campagnes et du ciel, tel devait être, réduit à ses élémens primitifs, le programme suivi par l’école hollandaise, et tel il fut depuis le premier jour jusqu’à son déclin. » Et un peu plus loin : « N’y a-t-il pas là, en effet, dans les bornes des Sept-Provinces, sans sortir des pâturages et des

  1. Je dois la communication de ce curieux passage à un jeune professeur de l’Université de Fribourg, M. G. Michaut, qui s’est intéressé jadis à l’évolution des genres ; et dont l’Académie française couronnait l’an dernier une remarquable édition des Pensées de Pascal.
  2. On crée tous les jours, dans nos Universités et ailleurs, — au Collège de France, par exemple, qui ne fait point partie de l’Université de Paris, — des chaires inutiles ; et en attendant, seules ou presque seules au monde, les Universités françaises n’en ont point de « Littérature comparée ».