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visiteurs qui les surprennent se doivent piquer d’être sourds, et plus encore d’être discrets. Et ce que nous avons pris intérêt à observer dans cette région de l’Italie méridionale, ce n’est point l’évident affaissement de certaines espérances récentes, c’est le déroulement logique, et logiquement funeste, d’une évolution sociale commencée il y a cent ans à peu près, et dont les deux traits principaux furent une répartition nouvelle de la propriété et une conception nouvelle des droits du propriétaire.


I

Lorsque au nom de la philosophie on décrétait la suppression du régime féodal, on escomptait l’avènement de l’égalité parmi les hommes ; lorsqu’on réalisait cette suppression conformément aux maximes individualistes du droit romain, on augurait un rapide développement de la petite propriété, qui serait comme la sanction de l’égalité retrouvée ; et lorsqu’on achevait, enfin, de renouveler la face de la terre en supprimant d’un trait de plume les multiples usages de propriété collective que la coutume avait créés, on se flattait de couronner ainsi l’émancipation et la souveraineté auxquelles chacun des êtres humains venait d’être appelé ; et l’on espérait qu’en poussant à l’extrême le caractère absolu et exclusif du droit de propriété privée, on ménagerait à tous ces souverains improvisés un retranchement et presque un sanctuaire pour la possession sûre et l’exercice imprescriptible de leur multitude de droits nouveaux. Le despotisme éclairé des Bourbons, la République parthénopéenne, la royauté jacobine de Murat, concoururent tour à tour, dans l’Etat napolitain, à cet immense déplacement de la propriété. Parmi les terres des anciens barons, un classement fut tenté : on voulut distinguer entre les difese qu’ils possédaient en toute souveraineté, les fiefs soumis à certaines servitudes au profit de l’humble plèbe, et les antiques domaines communaux illégalement usurpés par l’oligarchie féodale. Les difese furent laissées aux barons ; les fiefs furent amputés, et les morceaux qu’on en détacha devinrent la propriété des communes, comme compensation pour les vieux droits de servitude et d’usage dont jouissait, sur toute l’étendue de ces fiefs, la masse des habitans ; et quant aux anciennes terres communales que les seigneurs s’étaient arrogées, elles leur durent être enlevées pour retourner à leur propriétaire primitif, « tout le monde ».