Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/886

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déguiser ou pour envelopper son ignorance absolue des lois qui président à la transformation des espèces. Pouvons-nous même parler de transformation des espèces ? et, depuis quatre ou cinq mille ans que nous observons la nature, s’il est vrai qu’on ait vu des espèces disparaître, qui a vu, quand en a-t-on vu surgir de nouvelles, ou une ancienne se changer en une autre ? Vous parlez également de l’origine animale de l’homme ! Mais où est la preuve de cette origine ? Et généralement, depuis Lamarck jusqu’à nous, quelque assertion qu’un évolutionniste ait produite, ne s’est-il pas rencontré un savant pour la contredire, et au besoin pour la détruire ? Qu’y a-t-il donc de plus arbitraire, de moins philosophique en tout cas, et de plus injustifié que de vouloir ainsi transporter dans l’histoire de la littérature ou de l’art les méthodes ou les procédés d’une science encore purement hypothétique ? et quel avantage, quel profit en pensez vous tirer ? Etrange façon d’en user ! C’est quand la science vous propose des conclusions certaines, fondées sur des expériences certaines, que vous affectez de la dédaigner ; vous en proclamez la faillite ! et au contraire, si quelqu’une de ses affirmations est douteuse ou si quelqu’une de ses suppositions relève bien moins de l’expérience ou même du raisonnement que de la pure fantaisie, ce sont celles-là que vous acceptez ! »

Je réponds : premièrement, que ni l’origine animale de l’homme, ni la question des générations spontanées, ni même la sélection naturelle ne constituent l’essentiel de la doctrine évolutive : elles n’en sont que des inductions ou des applications. Négligeons les apparences, ne nous attachons qu’au fond. L’idée mère, l’idée substantielle de l’évolution, c’est, d’après Herbert Spencer, « le passage de l’homogène à l’hétérogène », ou, encore, comme le dit Hæckel, c’est l’idée de « la différenciation graduelle de la matière primitivement simple » ; et tout le reste, n’étant qu’hypothèse, peut tomber sans que la doctrine en soit atteinte. Mais, en second lieu, quand l’évolution ne serait qu’une hypothèse, ou une vue de l’esprit, dont on ne pourrait donner de démonstration expérimentale, qui ne servirait qu’à interpréter, à classer, à coordonner des faits ou à en découvrir d’autres, est-ce que ce ne sont point des hypothèses de cette nature qui seules ou presque seules font de tout temps avancer la science ? On nous reprochait, il y a quelques années, d’attribuer aux « idées générales » une importance démesurée ; et voici qu’on se plaint aujourd’hui