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négociation laborieuse, dont il est superflu de donner le détail, et qui aboutit dans le courant de l’an 1816. Le roi, aux termes de l’arrangement convenu, cédait à sa cousine l’emplacement du Temple, déjà à cette époque à demi démoli. Il fut pris des mesures pour approprier sans retard à sa destination nouvelle ce qui restait de l’antique édifice ; et, dans ce lieu longtemps célèbre par les débauches de Vendôme, par le faste de Conti, récemment purifié par la captivité douloureuse de Louis XVI et de sa famille, s’éleva bientôt une maison de prières, symbole d’expiation pour les plaisirs des uns et les souffrances des autres. L’Ordre qui s’y créa fut celui de « l’Adoration perpétuelle »[1]. La princesse Louise de Condé, qui en fut la prieure, garda son nom ancien de Sœur Marie-Joseph de la Miséricorde.

Des quelques années qui lui restent à vivre, je n’ai que peu de choses à dire. Le malheur s’est enfin lassé : orages du cœur, tortures d’une âme troublée, misères et périls d’une existence vagabonde, tout ce long roman d’aventures s’efface et disparaît dans les brumes du passé. A peine s’en souvient-elle, et bientôt le public l’ignore. L’oubli, qu’elle a cherché, l’enveloppe comme un épais manteau. « Un jour, dit un de ses contemporains, passant par la rue du Temple, je vis un couvent nouvellement établi, et j’entrai dans la chapelle. Aux deux côtés du chœur étaient plusieurs religieuses, présidées par leur supérieure. Celle-ci paraissait avoir environ soixante ans ; elle avait de beaux traits, un port majestueux, une physionomie calme et résignée. Je demandai son nom à un habitué de l’endroit, qui me répondit tranquillement : « La princesse Louise de Condé. » Ce nom, pour les voisins du quartier, n’évoque plus que l’image d’une bonne et austère religieuse, d’une dévotion exemplaire, exacte à remplir les devoirs de son état. Elle voit peu sa famille : le vieux prince de Condé, confiné presque toute l’année dans son domaine de Chantilly, ne vient que de loin en loin faire visite à sa fille. Il s’affaisse lentement sous le poids des années ; ses facultés s’affaiblissent ; la dernière fois qu’il la voit, à peine la reconnaît-il. Quand il succombe enfin, le 13 mai 1818, à quatre-vingt-deux ans, elle refuse, par un pieux scrupule, d’user de l’autorisation, envoyée par l’Archevêque, d’aller au lit de mort de son père pour lui fermer les-yeux. Quant au duc de Bourbon, retenu loin des

  1. L’entrée au Temple de la princesse Louise eut lieu le 2 décembre 1816. En 1848, l’État reprit l’emplacement, et la communauté fut transférée 20, rue Monsieur.