avec Mme de Rosière et la petite Eléonore, ses deux fidèles compagnes, se met en route pour rejoindre, après dix ans de séparation complète[1], un père, un frère, qui sont tout ce qui lui reste au monde. « Quel désir j’ai de vous revoir ! leur écrit-elle la veille de son départ ; mais en même temps, quelle espèce de crainte du premier moment ! Retrouver deux cœurs que l’on chérit si tendrement, et les retrouver navrés jusqu’à leur dernier soupir de la plus juste et la plus vive douleur ! Et cependant je voudrais en hâter l’instant. » Après ces effusions, l’instinct féminin se réveille, et elle reprend la plume pour atténuer, chez ceux qu’elle va revoir, le premier effet de la disparition de son ancienne beauté : « J’ai oublié de vous prévenir d’une chose. N’allez pas croire que c’est par coquetterie, mais seulement pour que vous ne soyez pas effrayés en me voyant : la blanche déesse à face ronde n’existe plus. Un visage allongé, jaune, ridé à force, les yeux battus jusqu’à la moitié des joues et abîmés par les larmes ; en un mot soixante ans, et à faire peur !... Voilà mon portrait, et il n’est pas chargé. Quant à ma compagne, quoiqu’un peu plus jeune, elle n’est pas plus belle que moi ; et la petite Eléonore a été rendue laide aussi par la petite vérole. Ainsi attendez-vous à une fière carrossée ! » Après un voyage heureux jusqu’à Dantzig, et vingt-deux jours de traversée, elle débarqua à Gravesend. Lorsqu’elle toucha le sol anglais, les autorités britanniques lui rendirent les honneurs dus à une princesse du sang ; lord Moira et William Pitt, envoyés au-devant d’elle, lui souhaitèrent la bienvenue. Ces hommages, que depuis tant d’années elle avait désappris à connaître, la touchèrent sans doute ; mais quelle émotion étreignit son cœur, quand elle vit au loin, accourant à sa rencontre, le prince de Condé et le duc de Bourbon ! Un irrésistible élan la jeta dans leurs bras ; tous trois, étroitement enlacés, mêlèrent leurs baisers et leurs larmes ; et « cette scène, longtemps muette, fut plus déchirante que bien des drames[2] ».
Les années qui suivirent furent pour la princesse Louise une période de détente et de calme. La douceur de revoir les siens,