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exaltée. Tout, au reste, dans cette première période, la ravit et l’enchante. La « grosse robe de laine brune », la corde qui sert de ceinture, le scapulaire et les sandales, lui semblent moins incommodes que « les grands habits de Versailles en brocart d’or et d’argent » ; le maigre perpétuel, les repas grossiers dus à la charité publique, servis dans des assiettes de terre, « avec, en guise de serviette, un petit chiffon de papier », la « délectent » et lui sont un succulent régal ; les veilles et les prières nocturnes sont, à l’en croire, une bien moindre fatigue que les plaisirs du monde, et ruinent moins sûrement la santé ; et elle résume ses impressions dans cette phrase imprévue : « Je prétends que je mène une vie très agréable, et que je m’amuse ! Ce mot est bien ridicule, mais mon père m’a toujours dit que j’étais un peu ridicule, et pas comme les autres. »

L’allégresse, sincère autant qu’exubérante, que respirent à cette époque les lettres de la princesse Louise, n’est en rien partagée par ceux auxquels elle s’adresse. Le duc de Bourbon, notamment, ne peut se résigner à une séparation « qui ferait le malheur de sa vie », et sa douleur s’exhale en termes véhémens : « En vérité, écrit-il à son père, il y a de la barbarie à s’arracher des bras de parens malheureux et n’ayant de consolation que dans leur union, pour s’enfermer dans un couvent et les abandonner pour toujours. Jamais Dieu ne lui saura gré d’une pareille démarche ! » Le duc d’Enghien n’a guère moins d’amertume : « Il parait qu’elle nous a à peu près oubliés. De temps en temps elle écrit un bout de lettre, où elle ne parle que de son Dieu et de son bonheur. Vous verrez quel style !... Nous l’avons perdue, et pour toujours. » Quant au prince de Condé, plus rassis et plus sceptique, il a vite renoncé aux objections, aux raisonnemens, aux instances, dont il sent l’inutilité présente ; mais il doute visiblement de la vocation de sa fille, et s’en remet au temps pour modifier les « irrévocables desseins » de cette « victime de nos malheurs », qui, ajoute-t-il avec malice, (c n’a jamais tant couru le monde que depuis qu’elle y veut renoncer » !

Ces derniers mots sont écrits en novembre 1796, presque un an jour pour jour après l’entrée de la princesse au monastère des Capucines ; sous une forme ironique, ils ne disent que la vérité. Depuis six mois déjà, la novice, sortie de son cloître, poursuit de couvent en couvent le fuyant idéal qu’elle croit chaque fois saisir, et dont, pendant de longues années, elle ne désespérera jamais.