enfin prêtre séculier, ni le passé d’un homme aussi changeant, ni son caractère sombre, exalté, rude et presque farouche, ne semblaient le préparer à comprendre, — moins encore à guider, — la créature d’élite qui se confiait à lui. Dans ses lettres à la princesse, certaines expressions révoltent, par leur brutalité inconsciente : « De quel bourbier Dieu vous a-t-il tirée !... Ne croyez pas qu’aucune austérité puisse expier vos offenses. » C’est ainsi qu’il juge et qualifie le chaste roman de sa jeunesse. Ailleurs il la reprend sur l’amour « déréglé » qu’elle conserve à son père, à son frère, à son neveu d’Enghien, cherche à éteindre dans son cœur ces pieuses affections de famille. Et n’eut-il pas un jour, — c’est elle qui nous l’apprend, — l’étrange idée de jouer envers sa pénitente le rôle d’une supérieure de couvent, de lui faire prêter entre ses mains les trois vœux habituels, d’exiger de sa part une obéissance absolue à ses ordres ?
Quoi qu’il en soit, elle hésitait encore. Un tragique événement, la mort subite, à ses côtés, d’une chère amie d’enfance retrouvée à Fribourg[1], vint porterie coup décisif. La fragilité de la vie, l’incertitude de l’heure dernière, « l’illusion des biens de ce monde », lui apparurent tout à coup avec une réalité saisissante. Elle se sentit, assure-t-elle, appelée par une voix irrésistible, plus forte que sa volonté même, et, sa résolution fixée, y trouva dès l’abord « un bonheur et des délices qui remplirent toute son âme ». Elle informe aussitôt son père de son « irrévocable dessein », et, sans attendre les objections prévues, s’occupe sur l’heure de le réaliser. C’est à Turin, aux Carmélites ou bien aux Capucines, qu’elle désire faire son noviciat ; la princesse de Piémont, mise dans la confidence, hâtera l’accomplissement des formalités nécessaires. Elle distribue entre les siens les quelques objets précieux qui lui restent encore : au prince de Condé, « la boîte où sont les cheveux de sa mère » ; au duc d’Enghien, une « petite bonbonnière où est peint un paysage, en souvenir d’une vieille tante qui l’a toujours aimé tendrement. » Elle emporte pour tout bien « quatre couverts d’argent », qui pourront lui servir en route, et qu’elle donnera ensuite à sa vieille femme de chambre. Ces dispositions prises, elle se rend à Turin ; et son choix se dirige sur le couvent des Capucines, dont les austérités, loin d’effrayer sa délicatesse, l’enivrent au contraire et la transportent d’une joie
- ↑ Mme de Lambertye. Lettre du 2 juin 1795. Archives nationales.