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mode chez ses contemporains, et dont elle s’accusa, par la suite, avec une vive contrition. L’épreuve cruelle qu’elle traversa ne contribua pas peu à ranimer sa foi languissante. Brisée par la douleur, elle se tourna de nouveau vers le Dieu de son enfance ; de rêveuse qu’elle était, elle devint mystique ; et la flamme, désormais sans objet, qui brûlait dans son âme, se jeta avec violence sur un nouvel aliment. Bornons-nous à constater ici cette ardeur naissante ; elle croîtra rapidement, et nous ne tarderons pas à en voir les effets.

On se tromperait pourtant en associant ce revirement à la dignité que reçut la princesse, précisément à cette époque, d’ « abbesse du chapitre noble de Saint-Pierre de Remiremont ». Cette institution fort ancienne, — l’une des plus curieuses peut-être qui se soient perpétuées jusqu’à la Révolution, — n’avait guère en effet de religieux que le nom[1]. Les trente-deux chanoinesses qui en faisaient partie ne prononçaient aucun vœu, n’étaient assujetties à aucune résidence, ne renonçaient en rien au monde ni au mariage. La vie qu’elles y menaient, bien qu’exempte de scandale, était plus dissipée que sévère : « Je reviendrai à Remiremont pour le carnaval, — écrit en 1764 l’abbesse en fonctions, la princesse Christine de Saxe[2]. — J’y ferai danser ma jeunesse ; et ma vieille coadjutrice ira se coucher à dix heures, avec les poules. » La seule condition exigée était l’illustration de naissance : neuf générations continues, ou deux cent vingt-cinq ans, de « noblesse chevaleresque » dans les deux lignes d’ascendance. On distinguait dans le chapitre les « dames tantes », seules titulaires de prébendes, et les « dames nièces », dont chacune était choisie par une tante, à qui elle payait pension, et qu’elle devait remplacer un jour. Tantes et nièces vivaient d’ailleurs en médiocre intelligence, et formaient deux partis opposés, qui, à l’époque où nous sommes parvenus, venaient de plaider l’un contre l’autre devant le Conseil du roi. Les nièces avaient gagné leur procès, « non pas qu’elles eussent raison, dit le marquis de Vernouillet, mais tout bonnement parce qu’elles sont plus jeunes ». L’abbesse, élue par le suffrage de tout le chapitre assemblé, avait donc fort à faire pour maintenir la paix dans ce petit royaume. C’était d’ailleurs, sauf ce léger ennui, une situation fort enviée ; les plus illustres princesses en recherchaient l’honneur et (es grands

  1. Le chapitre fut fondé en 620 par saint Romaric.
  2. Sœur de la Dauphins de France.