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mais l’industrie dans son ensemble n’en constitue pas moins aujourd’hui une occupation favorable au bien-être moral et matériel des ouvriers.

Que ferait la population croissante de l’Allemagne, si l’industrie nationale s’arrêtait ou reculait ? Il est certain qu’elle ne trouverait pas aisément à s’occuper dans les champs. À moins de se rallier au système de Malthus, et de considérer que l’Allemagne serait plus heureuse si elle avait dix millions d’habitans de moins, on ne saurait imaginer, dans les conditions actuelles du monde, une répartition de sa population entre les diverses branches d’activité très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Tout en étant de ceux qui considèrent que la prospérité de l’agriculture est la pierre angulaire de l’édifice social, nous ne voyons que des avantages au développement industriel, qui ne nous semble en aucune façon incompatible avec la prospérité des campagnes ; et nous ne dissimulerons pas le sentiment d’envie que faisait naître en nous la vue des innombrables fabriques et usines de la Westphalie, de la Saxe et de tant d’autres régions allemandes que nos études nous amenaient à parcourir encore tout récemment. Le fer, l’acier, les tissus ne sont guère moins indispensables à l’homme que le pain : la communauté qui les produit en abondance n’est pas inférieure à celle qui les lui achète. L’idéal économique d’un peuple est d’être, comme les États-Unis de l’Amérique du Nord, à la fois pourvoyeur du reste du monde pour les céréales, le pétrole, le coton, les métaux, et producteur de la plupart des objets fabriqués dont il a besoin ; déjà les industriels de la Pensylvanie et de l’Illinois envoient leurs rails de l’autre côté de l’Atlantique faire concurrence aux usines européennes, en même temps que les fermiers de l’Ohio et du Dakota y expédient leurs blés et leurs maïs. Mais les nations que la nature a moins favorisées peuvent trouver encore, dans un juste équilibre entre les deux ordres de production agricole et industrielle, le moyen de s’assurer une existence prospère : c’est le spectacle qu’offre l’Allemagne contemporaine aux yeux de tout observateur impartial.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.