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qui comprennent cette vérité que, meilleures seront les conditions d’existence de leurs auxiliaires indispensables, et plus grandes seront leurs propres chances de succès. L’outillage de plus en plus compliqué, de plus en plus délicat, des usines modernes exige des ouvriers intelligens, soigneux, dont le cerveau travaille en même temps que les bras ; de là une augmentation incessante de salaires ; de là la part de plus en plus considérable de ceux-ci dans les profits bruts de presque toutes les entreprises.

Alors même que le capital reçoit une rémunération qui représente un intérêt élevé sur les sommes engagées, le total des dividendes distribués aux actionnaires est fort peu de chose si on le compare à celui des journées d’ouvriers et des traitemens de tous ceux qui, à un degré quelconque, concourent au succès d’une entreprise industrielle. Les ouvriers, plus instruits, plus au courant de ce qui se passe dans les sociétés dont ils font partie, finissent par se rendre compte que le partage entre eux et les bailleurs de fonds n’est pas aussi injuste qu’on le prétend parfois. La démocratie socialiste, qui paraissait si menaçante il y a quinze ans de l’autre côté du Rhin, semble avoir baissé le ton depuis quelque temps et accepte, dans la vie politique du pays, un rôle qui n’est plus celui d’une opposition irréductible. La prospérité matérielle, dont les signes abondent, a certainement contribué dans une large mesure, à cette détente des esprits.


II

Quand j’étais enfant, j’entendais dire que c’était l’instituteur primaire qui avait battu l’Autriche à Sadowa. Quatre ans plus tard, on nous affirma que c’était lui qui nous avait vaincus à Sedan. Je me demandais déjà alors jusqu’à quel point cela était vrai, et je crois encore aujourd’hui que, sur les champs de bataille, le caractère, la volonté, la discipline, assurent les victoires des armées. Mais là où la science triomphe, c’est dans l’industrie. Il est difficile de trouver une démonstration plus saisissante de cette vérité que celle que donne l’industrie chimique en Allemagne.

Elle est sortie des laboratoires de savans tels que Liebig, Hoffmann ; elle continue à prospérer grâce au concours incessant de centaines de chimistes venus tous les ans des Universités, dont les uns entrent au service des industries particulières,