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chimériques lui déplaisaient à l’égal des excessifs, car nul ne l’a été moins. Son esprit juste et net, quand il prenait la peine d’approfondir un sujet, allait droit aux solutions positives et pratiques. Lui expliquait-on une affaire ou une opinion, il écoutait attentivement ; s’il n’avait pas d’objection péremptoire à opposer, ne fût-il pas convaincu, il laissait aller, sauf à voiler son regard si cela devenait décidément trop long. Mais la dissertation se fût-elle prolongée longtemps, si on avait laissé échapper une contradiction ou un non-sens, il les relevait d’un mot décisif, et à l’occasion gai ou plaisant.

On ne conteste plus qu’il ne fût très bon, mais de toutes les qualités c’est la moins royale ; elle incline les souverains à la faiblesse ou à l’arbitraire. Selon le dicton du vieux Côme de Médicis, on ne conduit pas les États avec des pater noster. La qualité royale, c’est la justice ; elle est la véritable bonté des rois. L’Empereur la possédait à un haut degré ; cela corrigeait un peu l’excessif de sa bonté, sans cependant détruire assez ce qu’elle conserva d’inquiétant et parfois d’intempestif. Il en convenait à la fin de sa vie. Causant à Chislehurst avec une amie, il gémissait sur sa faiblesse d’autrefois envers ceux qui l’entouraient : « Croyez-vous que mon fils sera ainsi ? — Non, répondit-elle, car il a de la sévérité dans le visage. — Tant mieux ! S’il doit gouverner, il ne faut pas qu’il soit faible. »

Son infériorité était que, très instruit des théories de la guerre et de la diplomatie, très familier avec les idées générales de la politique et de l’histoire, il ignorait les détails et ne les aimait pas, sauf les détails militaires. « Gouverner c’est bien, disait-il tristement, mais il faut encore administrer. » Et il en était incapable. Il le sentait, cela le rendait défiant de lui-même, et donnait autorité sur son esprit à des hommes qui lui étaient inférieurs, mais qui, connaissant les routines de l’administration, des finances et de la législation, lui en imposaient ou l’embarrassaient par de prétendues impossibilités techniques auxquelles il ne savait rien opposer.

Les ministres en abusaient. Par courtisanerie, pour ne pas compromettre leur position, ils se donnaient rarement le courage et la peine de dire non ; mais ils agissaient comme s’ils l’avaient dit, suivant leurs volontés et non les siennes, ne les heurtant pas, les tournant. Pur un très petit exemple on jugera de leurs procédés. Un beau logement était vacant dans un des