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vos anciennes bontés pour moi. Permettez-moi de vous complimenter à son sujet et à l’occasion de la décoration qu’il vient d’obtenir et qu’il avait noblement gagnée dans plus d’un combat très vif, et laissez-moi espérer aussi, mon général, que m’étayant ainsi d’une de vos plus chères préoccupations, vous ne songerez pas que j’ai été négligent bien longtemps, bien contre mon gré, je vous assure, et que vous m’accueillerez encore avec votre bienveillance d’autrefois.

Depuis un an j’ai rejoint à Mostaganem le 32e de ligne dont j’avais été nommé colonel au mois d’octobre 1844, et, confiant dans une situation que tous les rapports de l’armée s’accordaient à représenter comme si prospère, j’ai fait la folie d’emmener en Afrique ma femme et ma petite famille qui s’y est augmentée d’une fille née au mois de décembre dernier. J’avais conçu de cet événement prévu et de la réunion de mes plus précieuses affections de grandes espérances de bonheur, mais les événemens du mois de septembre les ont détruites en partie, et les complications politiques et militaires, qui en ont été la suite, les ont changées en de bien douloureuses inquiétudes.

Votre fils, mon général, bien plus que les journaux, si mauvais appréciateurs de notre situation générale, et bien plus surtout que les rapports et les bulletins inexacts, a dû vous tenir au courant du véritable état des malheureuses affaires d’Afrique. À aucune époque, depuis 1830, cet état n’a été moins rassurant, et il l’est devenu d’autant moins dans ces derniers temps, qu’il n’est plus possible de prévoir désormais quelle sera l’issue de la crise. Tant qu’on a pu songer qu’une question aussi vaste, aussi complexe que celle de l’Algérie pouvait se résoudre par une guerre heureuse et, par conséquent, par une force déterminée de l’armée, un espoir quelconque était permis. Mais il aurait fallu pour cela un plan, un système, une seule idée arrêtée au moins, et voilà ce qui manque malheureusement, et pour l’honneur de la France, et pour l’honneur d’une armée réduite, malgré ses qualités, malgré son courage et son dévouement, à un excès de misère que nul, sans doute, en dehors d’elle ne soupçonne.

Un seul exemple vous donnera une faible appréciation du désordre dans lequel elle est tombée et du mépris coupable qu’on a fait de ses moindres besoins, de ses premiers intérêts. Je puise cet exemple dans le régiment même que je commande et qui, tout entier, me rendra certes la justice de dire que je n’ai pas