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contraint plus ; avec quelque habitude on peut les lire sur son visage.

Il a aussi ses émotions vives et subites, ses furie, non toutefois à la façon de Cavour. Même en son plus violent accès de mécontentement, il ne sait pas se résoudre à décocher en face un reproche dur ou blessant ; il brave, heurte les choses, mais il n’a quelque courage contre les personnes que devant son papier ; alors il ne ménage rien. « Sa Majesté, écrivait le maréchal Vaillant, est rude dans sa correspondance ; l’extrême douceur, la patience de saint qu’elle a dans la conversation disparaît entièrement dans ses lettres. » — Le coup porté, à la première rencontre, il le cicatrisait. — « J’en ai reçu de bien rudes, disait encore Vaillant, dont on m’a toujours témoigné du regret avec un abandon et une grâce vraiment touchans. » — Randon aussi parle « de sa promptitude à exprimer des impressions et de sa facilité à revenir ». — Revenir n’est pas le mot exact. Il ne revenait pas : « Ce qui est écrit est écrit », disait-il ; il consolait de la dureté sans retirer l’avertissement ou la réprimande.


XIII

L’Empereur n’avait pas à redouter qu’on ignorât qu’il régnait ; il tenait à ce qu’on sût qu’il gouvernait. Peu de souverains ont été aussi impersonnels. Aucun de ses actes n’a été dicté par un intérêt égoïste ou de famille, il a toujours recherché le bien public, et n’a jamais songé qu’à rendre son peuple grand et prospère. Toutefois, il ne supportait pas de voir d’autres se parer d’une résolution qui, même conseillée par eux, n’existait que par sa volonté. Prêt à supporter la responsabilité du mal auquel il ne s’était pas opposé, il n’admettait pas qu’on lui dérobât le mérite du bien qu’il avait permis. En ce sens, il était personnel, ombrageux, jaloux de son pouvoir. Castellane lui raconte le passage de Saint-Arnaud à Lyon, c Ne s’est-il pas fait rendre plus d’honneurs qu’on ne lui en devait ? Les troupes n’ont-elles pas bordé la haie, ce qu’elles ne doivent faire que pour leur Empereur ? »

Dans une lettre à Vaillant, il exprime amplement ce qu’il ne veut pas tolérer de ses ministres[1]. — « J’ai été étonné de ce

  1. De Biarritz, 8 septembre 1856. — Je dois la communication de cette lettre intéressante, ainsi que toutes celles du maréchal Vaillant ou au maréchal Vaillant que j’ai déjà données ou que je donnerai bientôt, à M, Vernier, ancien conseiller d’État, légataire des papiers du Maréchal.