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A Bordeaux, le scénario officiel, dressé de main de maître par l’habile préfet Haussmann, triompha des dernières hésitations du Président. Quelle foule ! lui dit-on en lui montrant la multitude acclamante. Cromwell à une pareille exclamation répliqua : « Il y en aurait bien plus pour me voir pendre. » Le Président grisé, entraîné malgré son flegme, jette au vent son Conservons la République de la veille, et quoique les partis n’aient noué aucune menée menaçante, il annonce l’Empire : « Je le dis avec une franchise aussi éloignée de l’orgueil que d’une fausse modestie, jamais le peuple n’a témoigné d’une manière plus directe, plus spontanée, plus unanime, la volonté de s’affranchir des préoccupations de l’avenir, en consolidant dans une même main un pouvoir qui lui est sympathique. La France semble vouloir revenir à l’Empire. »

Sa résolution ainsi manifestée, il ressent le contre-coup de l’appréhension que ce mot d’Empire va apporter aux rois et aux peuples, et il essaie de la calmer : « Par esprit de défiance, certaines personnes disent : L’Empire, c’est la guerre ; moi je dis : L’Empire, c’est la paix. — C’est la paix, car la France la désire, et, lorsque la France est satisfaite, le monde est tranquille. La gloire se lègue à titre d’héritage, mais non la guerre. Est-ce que les princes qui s’honoraient justement d’être les petits-fils de Louis XIV ont recommencé ses luttes ? La guerre ne se fait point par plaisir, elle se fait par nécessité ; et, à ces époques de transition où partout, à côté de tant d’élémens de prospérité, germent tant de causes de mort, on peut dire avec vérité : Malheur à celui qui, le premier, donnerait en Europe le signal d’une collision, dont les conséquences seraient incalculables ! » Par ces mots compromettans, vagues, qui promettaient plus qu’il ne pourrait tenir, il se flatta d’avoir dissipé les alarmes ; il n’avait fait que les constater.

Il restait à régulariser l’Empire. Cela ne prit pas beaucoup de temps. Le 7 novembre 1852, le Sénat consulté décida que le plébiscite suivant serait proposé au suffrage universel : « Le peuple veut le rétablissement de la dignité impériale dans la