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spontanéité incontestable. Il devine ou apprend la manœuvre du ministre ; il a une révolte honnête. A Lyon, il rédige un discours dans lequel il refuse nettement l’Empire ; il le fait imprimer, et il ferme sa porte à Persigny. Celui-ci la force et, soutenu par Mocquard et Saint-Arnaud, le conjure de ne pas se dérober au vœu public. — Ces cris de : Vive Napoléon III ! et de : Vive l’Empereur ! dont il est assourdi depuis Bourges ne sont pas le résultat d’un mot d’ordre ; quel mot d’ordre aurait pu produire une si foudroyante explosion ? ils s’échappent naturellement du cœur populaire. Ils sont la confirmation ou plutôt le commentaire des votes de décembre, affirmation consciente et deux fois répétée de l’hérédité. Il a été élu pour débarrasser à jamais le pays d’une république dont on a horreur et non pour la consolider. Par son histoire, par sa constitution géographique et morale, la France est monarchique : elle veut une dynastie. Celle du passé est morte, elle acclame une dynastie nouvelle. Le voulût-il, il ne peut rester Président de la République ; le mouvement qui a envahi le pays entier ne va cesser de s’accentuer jusqu’à ce qu’il lui ait répondu en ceignant la couronne impériale. L’armée est aussi unanime que le peuple. Il lui doit une satisfaction. Laquelle sera plus éclatante que de déchirer les traités de 1815 en replaçant sur le trône la dynastie que l’invasion a renversée et proscrite ?

Persigny insiste, il prie, il conjure, il invective les conseillers pusillanimes, il dit et l’ait tant et si bien, qu’à la fin le Président, dont les instincts refoulés se réveillent, se laisse faire violence. Il déchire son discours républicain et en prépare un dans lequel il se montre, non sans tristesse[1], résigné à s’accommoder de l’Empire. — « Nous sortons à peine de ces momens de crise où les notions du bien et du mal étaient confondues, les meilleurs esprits se sont pervertis ; la prudence et le patriotisme exigent qu’en de semblables momens la nation se recueille avant de fixer ses destinées, et il est encore difficile pour moi de savoir sous quel titre je puis rendre le plus de services. Si le titre modeste de Président pouvait faciliter la mission qui m’est confiée et devant laquelle je n’ai pas reculé, ce n’est pas moi qui, par intérêt personnel, désirerais changer ce titre contre celui d’Empereur[2]. »

  1. Persigny, qui constate cette tristesse, n’en comprend pas la cause ; il l’attribue « aux collisions dont sa personne pouvait être le sujet et au regret d’être surpris par un événement qu’il n’avait pas prévu » !
  2. Le maréchal de Castellane rapporte la violence des cris de : Vive l’Empereur ! qui accueillirent ce discours et se renouvelèrent partout durant le séjour à Lyon. L’Empire proclamé, il écrit dans son journal (5 décembre 1852) : — « Le soir, Lyon a été illuminé, mais médiocrement. Les Lyonnais ont peu crié : Vive l’Empereur ! quoique, au fond, ils soient contens. » Qu’en savait-on ? C’était le cas, cependant, de crier plus que jamais : « Vive Napoléon III, vive l’Empereur ! » Mais alors l’enthousiasme n’était plus embrigadé.