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d’exprimer comme il l’entend les sentimens qu’il éprouve. Mon voyage est une interrogation, je ne veux pas qu’on prépare la réponse, je la désire dans toute sa spontanéité. »


IX

Persigny n’était pas d’humeur à se troubler de ce mécompte. Le voyage devait commencer par Orléans, continuer par Nevers, Bourges et Moulins. Il n’appelle pas le préfet d’Orléans, qui, ami intime d’Abbatucci, l’un des ministres, eût tout dénoncé. Il mande les préfets du Cher, de la Nièvre et de l’Allier, et leur dit : « Convoquez toutes vos municipalités, distribuez-leur des drapeaux sur lesquels sera écrit d’un côté : Vive l’Empereur ! de l’autre : Vive Napoléon III ! sur les arcs de triomphe faites mettre les mêmes inscriptions en grandes lettres et laissez crier. » Il crut inutile de communiquer aux préfets des autres départemens des instructions semblables, assuré que, quand ils sauraient ce qui se passait ailleurs, ils se hâteraient de l’imiter. De son côté, Maupas, convaincu que le général qui commandait à Bourges, Mortemart, légitimiste rallié, ne crierait pas : Vive l’Empereur ! engagea le général Delanoue à suppléer au silence de son chef, et à vociférer ce que l’autre ne dirait pas.

Le Prince se met en route le 14 septembre. A Orléans, où aucun ordre n’avait été donné, il est reçu comme il l’avait été à Strasbourg, aux cris enthousiastes de : Vive Napoléon ! mais aucun cri de : Vive l’Empereur[1] ! A Bourges, où la consigne n’avait pas manqué, tout s’enflamme : armée, municipalité, badauds rivalisent à crier : Vive l’Empereur ! Des dépêches télégraphiques affichées dans toutes les communes annoncent la manifestation en la grossissant. Le mouton de Panurge national se précipite à la file. De Bourges jusqu’à Bordeaux, en passant par Lyon, Marseille, Toulon, Toulouse, tous ceux qui ont l’habitude de manifester pour n’importe qui et pour n’importe quoi crient : Vive Napoléon III ! vive l’Empereur ! Le tour était joué.

« L’homme qu’on entoure de cette ovation continue, toujours calme sans être insensible, ne s’enivre pas ; il reste dans son imperturbable sang-froid. Bien des têtes partiraient[2]. » Cette imperturbabilité lui permet de pénétrer ce qui se mêle d’officiel à la

  1. Persigny, Mémoires, p. 181.
  2. Saint-Arnaud, Lettres, 17 septembre 1852.