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Kabyles et les cavaliers se ruèrent sur elle, on se battait à bout portant.

En un instant, le reste des cartouches est usé, on se bat à la baïonnette ; notre escadron, qui était déjà au milieu du bois, fait demi-tour et revient au galop pour dégager les chasseurs d’Orléans. A deux pas de la sortie du bois, le colonel, avec quelques hommes, prend à gauche pour dégager un capitaine de chasseurs d’Orléans qui était entouré, il pointe un Kabyle. Celui-ci, en tombant, lâche son coup qui porte dans l’estomac du colonel et l’abat ; le brigadier Vincent se jette à bas de cheval avec le chasseur Gueno, ordonnance du lieutenant-colonel. Deux Kabyles se jettent sur le corps pour l’enlever ; on le retient et le brigadier les étend à côté du colonel. Le docteur Becour, qui suivait le lieutenant-colonel, s’était jeté à bas de cheval et le tenait dans ses bras, cherchant à arrêter le sang. J’étais du 2e peloton de charge. J’entends crier, à cinq pas du chemin sur la gauche, derrière un buisson de lentisques : « Au colonel ! au colonel ! » Je fais peloton à gauche au galop, j’entre dans le bois, je le vois à terre ; je laisse six hommes pour le relever, avec le reste je me porte sur une petite crête. Il était temps, plus de cent Kabyles se glissaient dans les broussailles pour venir enlever le corps ; une ligne de tirailleurs protégea son enlèvement, puis mon peloton rejoignit les deux autres qui, après avoir dégagé le commandant Clerc, avaient pris la ligne de tirailleurs.

Le commandant m’envoya deux fois au général pour chercher un bataillon de secours. Quatre fois, par conséquent, je traversai le bois seul, la dernière fois, il était coupé et je fus canardé ; les balles m’ont sifflé de près. Je rejoignis ensuite la ligne de tirailleurs de nos chasseurs et j’eus quatre hommes blessés près de moi.

Je n’ai rien vu de plus beau que ces chasseurs d’Orléans faisant le cercle autour de leur commandant, aussi calmes que s’il se fût agi de la parade, leurs baïonnettes rouges de sang : une dizaine de cadavres de chasseurs, une quinzaine de blessés, pleins de sang des chevaux tués, une quarantaine d’Arabes étendus morts. Le commandant Clerc avait le genou traversé d’une balle ; il y avait une demi-heure qu’il l’avait reçue et personne n’en savait rien. Le colonel Berthier vécut environ une demi-heure, puis expira étouffé par le sang. Le combat continua avec le même acharnement jusqu’au bivouac ; une quarantaine d’obus furent tirés par M. de Ber-kheim.