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milieu de toutes les révolutions qui ont dû accompagner ces conquêtes, ils sont toujours restés les mêmes et ils iront emprunté à leurs derniers maîtres que quelques dogmes de religion qui s’accommodaient à leurs habitudes et à leurs passions. La France ne les subjuguera jamais, car, semblables aux Suisses ennemis de Charles le Téméraire, ils ont pour se défendre et leur pauvreté et leurs montagnes impraticables. Si nous agissons avec eux avec fermeté, franchise et sagesse, nous nous ferons de ce peuple un ami qui préférera notre domination à celle des Arabes qui ont toujours été pour eux d’avides spoliateurs. Demandons-leur pour prix de notre amitié et de notre protection un faible tribut, l’échange de leurs denrées, le libre accès du pays et l’exploitation des bois qu’ils laissent pourrir sur place, et nous pourrons, je crois, être plus en sûreté chez eux que chez nous.

J’ai heureusement échappé aux maladies de l’été qui, cette année, se sont fortement fait sentir. La fièvre a fait de grands ravages dans mon bataillon ; dans ma compagnie, mes officiers, mes sous-officiers, et quatre-vingt-dix sur cent vingt-huit de mes soldats en ont été atteints. Heureusement, jusqu’à présent, il y a eu peu de morts ; mais à la fin d’octobre et au commencement de novembre, époque des rechutes, la mortalité sera beaucoup plus forte.

Je suis avec respect et reconnaissance, etc.


M. Dussert, sous-directeur de la province de Philippeville et Constantine, au général de Castellane.


Philippeville, le 14 octobre 1844.

Ici, mon général, nous avons eu nos grands événemens que les journaux vous ont fait connaître, le bombardement de Mogador et de Tanger, la bataille d’Isly, enfin le traité de paix avec le Maroc. On a dépensé à cet égard beaucoup d’enthousiasme ; à une époque quelque peu petite, comme la nôtre, il n’y a pas grand mal à ce qu’on donne aux choses plus d’importance qu’elles n’en ont, mais encore ne faut-il pas que l’exagération dépasse toute limite. C’est une bonne chose que l’affaire d’Isly et à laquelle il faut applaudir. Mais quand on rappelle les batailles de l’Empire et qu’on donne des duchés à propos de huit cents Marocains tués, on s’expose à faire rire à nos dépens les Anglais qui se battent dans l’Inde et les Russes qui se battent dans le Caucase. Quant au traité de paix,