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l’anarchie ne produit pas ses dernières conséquences, elle existe, et le jour approche, s’il n’est déjà venu, où on regrettera les Turcs : ils représentaient, vaille que vaille, cette autorité régulière et permanente dont nulle nation ne peut se passer. Ce n’est pas précisément que la Crète manque d’organisation : on lui en a donné une, et nous avons eu l’honneur de l’élaborer. Ce sont les propositions françaises qui ont été adoptées par les puissances, et qui servent, ou qui serviront de lois au pays de Minos. Il ne manque qu’une chose, assez importante à la vérité, un gouverneur pour les appliquer. Nous avons rendu compte, au fur et à mesure qu’elles se produisaient et qu’elles disparaissaient comme des fantômes, des diverses candidatures de M. Numa Droz, du colonel Schœfer et du voïévode Bojo Petrovitich. Nous voici maintenant à la quatrième, celle du prince Georges de Grèce. Puisse-t-elle réussir ! Lorsqu’on en a parlé pour la première fois, il y a quelques semaines, elle n’a pas eu grand succès, et la presse européenne a même paru éprouver quelque difficulté à y croire ; mais on ne s’est pas arrêté à cette première impression ; la candidature a été maintenue, et comme l’initiative en appartient à la Russie, il a bien fallu s’en occuper sérieusement. On devine qu’elle ne rencontre pas de dispositions favorables à Constantinople, et peut-être l’espèce d’indifférence qu’on lui témoigne à Berlin ne cache-t-elle pas à son égard de meilleurs desseins. On a beau expliquer au Sultan qu’il devrait être extrêmement flatté d’avoir pour vassal, bien plus pour simple gouverneur d’une de ses provinces, un propre fils du roi de Grèce, il a peine à comprendre l’importance de cette satisfaction toute morale, et il se demande ce qui aurait pu lui arriver de pire si la Grèce avait remporté quelque victoire. Il faudrait sans doute, pour l’amener à céder, que l’Allemagne le lui conseillât comme elle sait conseiller à l’occasion ; malheureusement rien n’autorise à croire qu’elle y mettra plus d’insistance qu’elle n’en met d’ordinaire aux choses auxquelles elle ne tient pas du tout. L’attitude de l’Angleterre pourrait avoir, peut-être à rebours, quelque influence sur la sienne ; mais elle a beaucoup de peine à se dessiner. Avec la Russie, la France est à coup sûr de toutes les puissances celle qui voit cette candidature le plus favorablement. Et ce n’est pas à cause de notre alliance d’intérêts avec la Russie que nous formons ce vœu : nous aimons la Grèce pour elle-même, et ses revers dans la dernière guerre, bien qu’ils aient été provoqués par sa propre imprudence, nous ont été très sensibles. On sait à quel point l’opinion s’en est émue chez nous. Le développement de l’hellénisme du côté de la Macédoine étant suspendu pour le moment, c’est du côté