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avec lesquelles, après avoir lu seulement son journal, on s’en fait et on la proclame une sur les points les plus éloignés du monde. On reproche souvent aux Français de donner à tout ce qui leur arrive, des proportions démesurées, dramatiques ou tragiques à l’excès, et d’oublier le reste du monde dans l’intérêt exclusif qu’ils prennent à leurs propres et quelquefois assez petites affaires. Mais, en admettant qu’ils soient enclins à ce travers, ils y sont merveilleusement encouragés du dehors. On s’occupe d’eux, en effet, presque autant qu’ils s’en occupent eux-mêmes, et il ne semble pas qu’on y apporte un esprit critique sensiblement plus développé. Les affaires françaises ont conservé le privilège d’attirer et de passionner l’attention universelle. Cela est flatteur sans doute : cependant, soit habitude, soit lassitude, nous commençons à nous en soucier moins.


Tout en s’occupant de nos affaires, les autres puissances ne négligent pas les leurs. Elles ne se laissent pas complètement absorber par le nouveau roman que M. Zola a commencé de mettre en action, et il suffit de jeter les yeux sur la carte du globe pour voir que presque toutes font des progrès, les unes ici, les autres là. Presque aucune ne reste stationnaire ; ni l’Allemagne qui, après avoir pris Kiao-Tcheou, s’apprête à aménager le pays pour en tirer le meilleur parti possible ; ni la Russie qui hiverne à Port-Arthur ; ni l’Angleterre qui négocie un emprunt chinois, réclame avec énergie les privilèges accordés à d’autres nations, cherche à s’attribuer des compensations à leurs développemens territoriaux, étend ses vues d’avenir sur la vallée du Yang-Tsé-Kiang, et demande l’ouverture au commerce européen du port de Ta-Lien-Wan, — sans parler de ses préparatifs militaires sur ce Haut-Nil, et de ses mouvemens multipliés sur le Niger ; ni l’Autriche qui profite de son accord avec la Russie pour substituer son influence à la sienne à Belgrade, et qui, malgré ses divisions intérieures, poursuit patiemment sa politique dans les Balkans. Il faudrait plus de place qu’il ne nous en reste aujourd’hui pour montrer dans tous ses détails l’incessante activité des puissances : aussi nous contenterons-nous de jeter un coup d’œil sur le point où elle se manifeste le moins. Tout le monde comprend qu’il s’agit de la Crète.

La situation y est toujours la même. Si le concert européen y est dénué d’activité, il l’est encore bien plus d’amour-propre. Les amiraux font de leur mieux, c’est-à-dire qu’ils empêchent beaucoup de massacres, sans réussir aies empêcher tous. Il y a presque toujours du gang versé, moins cependant qu’on n’avait pu le craindre. Mais si