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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 janvier.


Bon gré, mal gré, il faut encore, il faut toujours parler de la question Dreyfus, puisqu’elle continue, sans qu’on sache pourquoi, d’absorber presque à elle seule toute l’attention du pays. Dieu sait, pourtant, si cette attention ne se porterait pas avec plus d’utilité sur d’autres objets, qui en seraient certainement plus dignes ! Tandis qu’en effet nous demeurons comme hypnotisés par cette unique affaire, les autres puissances s’occupent activement des leurs, qui sont aussi un peu les nôtres. Elles s’y appliquent avec une liberté d’esprit que nous n’avons pas au même degré. Tout est sinon ébranlé chez nous, au moins troublé et plongé dans une confusion profonde par cette affaire qui a pris, sans qu’on puisse en trouver de valables raisons, des proportions prodigieusement exagérées. Nous nous sommes toujours efforcés de la ramener à de plus justes limitée, mais en vain ; et les efforts du gouvernement n’ont pas été plus heureux.

On a beaucoup reproché au gouvernement de n’avoir pas pris dès le début une attitude plus nette, plus ferme, plus décisive, de n’avoir pas manifesté dès le premier jour une coniction plus forte, de n’avoir pas prononcé tout de suite des paroles péremptoires, et on affirme qu’il n’en aurait pas fallu davantage pour tout arrêter. C’est attribuer au ministère plus d’autorité qu’il n’en a, et qu’il ne peut en avoir. Nous doutons beaucoup, pour notre compte, qu’il eût dépendu de lui d’enfermer et d’étouffer l’affaire dans une déclaration de tribune, comme Éole enfermait et retenait les tempêtes dans une outre. Et ce n’est pas sans quelque surprise que nous voyons les adversaires mêmes du cabinet actuel, ses ennemis les plus irréductibles et les plus résolus, lui attribuer bénévolement une puissance presque surhumaine, pour lui