sa langue et à tenir sa plume en bride, à mettre de l’eau et dans son vin et dans son encre.
Il cherchait à lui persuader que les professeurs sont des fonctionnaires, et que si les fonctionnaires ne sont pas tenus de partager toutes les idées de leur gouvernement, ils sont dans la stricte obligation de n’en pas prendre ouvertement le contre-pied. Il le priait aussi de considérer que, lorsqu’on a pour père un vieux général et qu’on vit à ses crochets, on doit s’abstenir de le compromettre, qu’un fils compromettant n’est pas un bon fils. » Si tu es incapable de te modérer, lui écrivait-il en substance, donne ta démission de professeur ; j’en serai marri, mais je ne t’en voudrai pas. Si jamais on t’obligeait à la donner, je me verrais forcé de rompre avec toi. » Mais après avoir mêlé de sourdes menaces à ses avertissemens paternels, cet homme indulgent s’empressait d’ajouter : « Je te connais ; tes chimères et tes visions cornues te seront moins chères que le repos de mes vieux jours ; tu m’as procuré de grandes joies, tu ne me causeras jamais de gros chagrins. »
Ce fils compromettant avait réponse à tout. Il prodiguait à son père les témoignages de respect et d’affection, mais il ne lui accordait rien. Il n’admettait pas que les professeurs allemands fussent des fonctionnaires ; il les considérait plutôt comme des apôtres, chargés de prêcher à l’Allemagne le nouvel évangile. Il n’admettait pas non plus que le silence fût jamais une vertu ; il pensait que, si l’on sonne de la trompette pour animer la cavalerie au combat, il est bon d’en sonner aussi pour réveiller les peuples qui dorment, et il était toujours prêt à emboucher son instrument. Il promettait parfois de s’observer davantage, et le lendemain il faisait quelque incartade. Il s’excusait en alléguant ses convictions, ses principes, sa conscience et les devoirs qu’elle lui imposait. Au surplus il autorisait le général à le désavouer pour se mettre à couvert, à condamner hautement ses hérésies. N’en déplaise à M. Schiemann, ce héros eût été plus héroïque s’il avait dit à son père : « Ma conscience me commande de vous chagriner, mais elle me commande aussi de ne plus me laisser entretenir par vous. Désormais mon traitement me suffira, et, s’il le faut, je réduirai ma dépense, je vivrai de privations, j’endurerai la faim et la soif ; le plaisir de dire et d’écrire librement ce que je pense me tiendra lieu de tout le reste. » Il ne le disait pas, il acceptait les subsides et mettait son honneur à ne faire aucune concession à ce père indulgent et nourricier. Je trouve que, dans cette affaire, c’était le vieux général saxon qui avait le beau rôle.
Il y eut un moment où la corde trop tendue faillit rompre, on fut