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XIII

Au retour de ma visite au quartier des verriers, je revoyais devant moi, en repassant le Tarn, posée sur la vieille ville comme sur un piédestal, la haute masse de la cathédrale. On n’oublie guère, quand on l’a visitée, l’admirable basilique, sa forêt d’arceaux peints, la féerique dentelle de son jubé, sa nef infinie et multicolore, ses mille statuettes archaïques et pensives, et la magique lumière de sa rosace, et l’immense fresque vague de son Jugement dernier, avec ses faces d’élus illuminées du ciel, pendant que leurs corps traînent encore leurs misères et leurs nudités. Et tous ces enchantemens me revenaient à l’esprit, j’en éprouvais comme un rassérènement, comme la sensation d’une rentrée dans l’air et le jour au sortir d’un long tunnel, et je comparais en moi-même tout ce qu’il y avait là de génie, d’œuvre et d’éternité, à tout ce que je venais de voir de désolation et d’agitation négative. Car le grand vice de la Verrerie ouvrière est bien dans son caractère de négation et de révolte pures, dans le fond de nihilisme ou de manie démolissante de ses meneurs et de ses lanceurs, qui ne peuvent jamais, quoi qu’ils fassent, que détruire ou troubler, et dont les seules facultés sont des facultés de dévastation.

Oh ! pour beaucoup de verriers, et peut-être pour presque tous, il dut y avoir une heure d’espérance profonde. Ce sol était leur sol, ce sable était leur sable, et ces briques, ces pierres, ces fers, ces bois, c’étaient leurs briques, leurs pierres, leurs fers, leurs bois. Mais quelle chute ! Après tout, jusqu’alors, ils avaient mangé. Et maintenant ? Plus rien ! La mendicité et la famine ! La soupe de la caserne et de la Miséricorde ! Ils n’avaient pas eu affaire à des libérateurs, mais à des faiseurs de ruines quand même, ne voulant et ne pouvant que ruines, quitte à y écraser tout ce qui vit, dans leur guerre à tout ce qui vit bien.


MAURICE TELMEYR.