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Règlement des apprentis verriers, dont le but a l’air d’être l’anéantissement même de la profession ?

— Eh bien ! me répondait alors le verrier, c’est justement cela !... On veut se trouver le moins de verriers possible, afin de tenir ainsi plus facilement les patrons.

— Mais c’est la ruine générale, la fin de l’industrie verrière, celle du métier de verrier, et du verrier même par conséquent !

Et le verrier me répondait encore :

— Parfaitement !... Mais c’est ce qu’on cherche... La fin, la ruine, la fermeture de tout... la grande grève... Ce serait évidemment la ruine et la mort de l’ouvrier, mais ce serait aussi celles des maîtres...


VI

L’élément « patronal » tel que le représentait M. Rességuier, et l’élément « syndical » tel que le représentait la Fédération ne pouvaient pas, on se l’explique maintenant sans difficulté, se convenir longtemps l’un à l’autre. Un directeur d’usine peut-il en rester directeur, avec un personnel déterminé à détruire son autorité ? Non, pensait M. Rességuier. Un patron, d’autre part, ses salaires fussent-ils le triple des salaires ordinaires, ne doit-il pas disparaître, uniquement parce qu’il est un patron ? Oui, pensait la Fédération. Faut-il prendre, d’ailleurs, au pied de la lettre, l’explication du verrier sur le Règlement des apprentis ? Il faut surtout en retenir l’esprit, mais l’esprit en est certain, et ressort des documens mêmes. Pour la faute la plus légère, la plus machinale, la plus involontaire, expulsion du métier pour l’apprenti. Mais, en même temps, stipulent expressément les statuts syndicaux, le retard des cotisations « n’est pas une cause d’expulsion ou de radiation » pour le syndiqué et le fédéré. Tant que vous n’êtes pas verrier, tout vous empêche de le devenir, mais tout est mis en œuvre, si vous l’êtes, pour vous retenir dans la lutte. Et la lutte, la guerre, la révolte, sont bien la pensée fixe des syndicats. Ils vivent pour elles, et en viennent à les attendre avec une sorte de désespoir, comme lorsqu’on brûle tout pour ne pas se rendre. Ils se considèrent, vis-à-vis du « patron », comme Rostopchine vis-à-vis de Napoléon, et ne songent qu’à détruire, la destruction dût-elle être totale, engloutir le pauvre comme le riche, le maître comme l’employé. Ils sont engagés si à fond dans l’action, qu’ils en poussent