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sur le flanc de Vandamme, avait rapporté à l’Empereur que cette colonne prétendue anglaise était le corps du comte d’Erlon. Napoléon aurait pu s’en douter. Une fausse manœuvre, une confusion dans les ordres, une marche de travers ne sont point choses si rares à la guerre qu’il ne dût en admettre l’hypothèse. Déconcerté jusqu’au trouble par la direction menaçante de cette colonne, il n’avait point pensé que ce pût être le corps d’Erlon, que lui-même, cependant, venait d’appeler sur le champ de bataille. Si sa présence d’esprit habituelle ne lui eût fait défaut, le mouvement manqué était encore exécutable. Il suffisait d’envoyer par l’aide de camp chargé de reconnaître la colonne l’ordre pressant à d’Erlon de se porter en arrière des lignes prussiennes. Napoléon n’y avait point songé. Quand l’aide de camp revint près de lui, vers 7 heures, il jugea avec raison que le mouvement serait trop tardif. Pour opérer cette marche enveloppante sans donner de jalousies à l’ennemi, il aurait fallu deux heures[1]. L’Empereur, au reste, savait vraisemblablement par l’aide de camp que le 1er corps s’éloignait. Ney, en péril, l’avait-il rappelé, ou d’Erlon, ayant reconnu qu’il avait pris une fausse direction, marchait-il par la gauche de Wagnelée pour tourner la droite prussienne ?

L’Empereur prit vite son parti. Si, par suite d’ordres mal compris ou mal exécutés, il lui semblait bien ne devoir plus compter sur la coopération d’une fraction de son aile gauche, du moins il était délivré de l’inquiétude où l’avait mis la présence sur son flanc de la colonne prétendue ennemie. Il redevenait libre d’agir. La victoire décisive qu’il rêvait depuis l’après-midi lui échappait, mais il pouvait tout de même gagner la bataille et rejeter Blücher bien loin de Wellington. Il donna ses ordres pour le dernier assaut.

  1. Le 1er corps aurait dû remonter droit au nord, en passant à deux kilomètres à l’ouest de Wagnelée, pendant l’espace de 3 500 mètres et tourner ensuite à l’est pour se rabattre sur Brye. Ce trajet de 6 kilomètres à travers champs demandait une heure et demie. Il fallait, en outre, une demi-heure pour que l’ordre d’opérer ce mouvement parvint de Fleurus au point où se trouvait le comte d’Erlon.