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Nous sommes moins avancés dans l’Ouest : ici, tout est stationnaire. Abd-el-Kader exécute tant bien que mal le fameux traité, le viole même quand cela lui convient sans trop de façons ; nous le laissons faire. M. le maréchal pense peut-être avec raison que la paix est plus préjudiciable à l’Emir que ne le serait la guerre, à moins qu’on ne fît, une fois pour toutes, une guerre complète et décisive. Quoi qu’il en soit, Abd-el-Kader prêchait dernièrement la croisade ; il engageait les tribus à se tenir prêtes et à rentrer au plus vite leurs récoltes. Il a été arrêté dans ses prédications par une levée de boucliers faite contre lui par deux cheiks puissans, ses ennemis. Les choses en sont là. Abd-el-Kader reçoit des armes et des secours du Maroc. Il s’approvisionne et attend. Je crois qu’il en viendra tôt ou tard à rompre le traité, voici pourquoi : les tribus de l’Ouest ne ressemblent pas à celles de l’Est ; celles-ci sont assouplies dès longtemps à la civilisation européenne ; les Arabes de la province d’Oran, au contraire, ont plus de fanatisme et une plus grande répulsion pour nous. Les souvenirs de l’occupation espagnole ne datent pas de si loin ; or, à cette époque, l’Inquisition siégeait à Oran, on faisait aux indigènes une guerre religieuse et de conversion. L’Arabe pris devenait catholique ou était brûlé comme infidèle. C’est donc surtout par le sentiment religieux qu’Abd-el-Kader a créé son influence et qu’il peut la maintenir. Il a intérêt à raviver ce sentiment s’il menaçait de s’éteindre, car il agit sur les Arabes en véritable marabout. Il dit avoir reçu de Dieu la mission de chasser les chrétiens d’Afrique. Une trop longue paix aurait pour lui le double inconvénient de mettre les populations en contact avec notre bien-être et notre tolérance et de faire douter les croyans de la réalité de sa mission. Il en viendra donc, je pense, à une rupture, sous peine de se démonétiser de ses propres mains.

Recevez, etc.


Le général de brigade Changarnier au général de Castellane.


Midah, le 18 mai 1841.

Mon général,

….. La matinée du 4 avril était froide ; j’avais conservé sur moi un paletot en épaisse étoffe de Tunis dont le capuchon était rabattu sur mes épaules. Un aide de camp du gouverneur étant venu me demander des nouvelles du combat, je me retournai