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elle pourrait affronter la calomnie ; la pensée du remords lui est intolérable ; et c’est, comme elle le dit, « dans la crainte même de sa faiblesse, qu’elle puisera le courage » qui lui a trop longtemps fait défaut. Son parti est pris ; elle se retire dans sa chambre, elle rompt le lourd silence des dernières semaines, elle écrit la lettre suprême, si touchante en sa détresse, si belle en son héroïsme, digne vraiment d’une Condé : « Peut-être vais-je affliger mon ami ; peut-être aussi vais-je m’en faire haïr ? Haïr... mais oui, qu’il cesse de m’aimer ; ce que j’ai tant craint, je le désire à présent ; qu’il m’oublie, et qu’il ne soit pas malheureux... » Elle expose sans détour les perplexités, les scrupules, les combats intérieurs dont on a lu plus haut le récit, annonce avec une fermeté douce sa décision irrévocable : « Mon ami, mon tendre ami, je ne puis retenir ces expressions ; voilà la dernière lettre que vous recevrez de moi. Faites-y un mot de réponse, pour que je sache si je dois désirer de vivre ou de mourir. Oh ! comme je craindrai de l’ouvrir ! » Puis cette recommandation charmante : « Si votre lettre n’est pas trop déchirante pour un cœur sensible comme est celui de votre bonne, ayez, je vous en conjure, l’attention de mettre une petite croix sur l’enveloppe ; n’oubliez pas cela, je vous le demande en grâce. » Et, pour finir, ce cri admirable : « Adieu, adieu encore une fois, mon ami : on peut changer de conduite quand on a du courage ; changer son cœur, j’ignore si cela est possible ! »

La lettre de La Gervaisais fut ce qu’elle devait être. Il mit « la petite croix sur l’enveloppe ; » il n’accabla point de reproches la douce et triste créature qui souffrait autant que lui-même de la souffrance qu’elle lui infligeait. Mais il plaida tendrement sa cause, fit valoir contre la raison tous les argumens de l’amour. Ce fut en vain. Il n’eut point de réponse directe ; la princesse, pour tenir sa parole sans se montrer impitoyable, imagina de s’adresser au chevalier de la Bourdonnaye-Montluc, oncle de La Gervaisais, et confident intime de ses chagrins comme de ses joies : « Dites-lui, monsieur, lui écrivit-elle, qu’avant de prendre mon parti, j’avais fait tous les raisonnemens que j’ai trouvés dans sa réponse... Dites-lui qu’une rupture entière, telle que je la lui demande, peut seule me rendre le repos... » Et, sur une nouvelle tentative, ce dernier et court billet au même correspondant : « Point de réponse ; plus de lettres, ni de vous ni de lui, je vous le demande en grâce. Ce serait m’affliger cruellement que de