mains avec tendresse, les tient serrées en l’embrassant ; elle voit ses yeux se remplir de larmes, et elle est si troublée elle-même qu’elle se sauve à la hâte pour se remettre de son émoi. Le prince de Condé, à son tour, est bientôt informé des soupçons qui pèsent sur l’honneur de sa fille ; les derniers jours de décembre, dans son propre salon, il surprend un dialogue qui suffit à l’éclairer. Deux hommes causent de la princesse ; l’un d’eux trouve sa mine altérée : « Oh ! ce n’est rien que cela, dit l’autre avec un certain sourire, elle se portera mieux cet hiver !… » Le prince vient trouver sa fille, l’interroge avec inquiétude ; sincère comme toujours, elle confirme ses craintes ; et il comprend enfin le danger qui menace la gloire de son nom. Son orgueil s’en indigne, son autorité se réveille ; il veut que La Gervaisais quitte Paris avant le retour de sa fille ; il exige la promesse qu’avant un an au moins elle ne cherchera pas à le revoir ; il impose la lettre rigoureuse dont on a lu plus haut le sens et le résultat.
La période qui va s’ouvrir fut, dans une triste histoire, la plus cruelle sans doute et la plus tourmentée. C’est la lutte éperdue de l’honneur et du devoir contre l’amour et le bonheur ; c’est le supplice d’un être jeune, vibrant, plein de vie, qui s’apprête à détruire de ses mains ce qui fait sa raison de vivre. Grâce aux lettres de la princesse, nous pouvons suivre toutes les phases de ce poignant débat, lire, dans cette âme transparente, les sentimens qui la conduisent, de la passion la plus brûlante, la plus irréfléchie, à la résolution la plus stoïque et la plus implacable. « Faible en toutes choses, a-t-elle écrit à son ami, votre Nina n’est forte que contre elle-même. » De cette force, rare entre toutes, elle s’apprête à donner une preuve irrécusable. Les récens incidens ont déchiré les voiles ; ses yeux sont dessillés ; elle sait de quelles vaines apparences elle s’est complaisamment leurrée : « En un instant nous n’avons plus vu que nous deux dans le monde, et nous nous sommes dit : c’est de l’amitié. De l’amitié ! Oh ! j’ai été aveugle, bien aveugle !… » Peu lui importent à présent les jugemens et les propos du monde ; la question est plus haute, la blessure plus profonde. C’est dans son propre cœur qu’est le mal dont elle souffre, c’est sa propre conscience dont elle redoute la voix. Elle s’indigne contre elle-même ; elle a honte du