froidement sa conduite, en reconnaît, à d’indiscutables symptômes, l’anomalie et le danger. Déjà, peu après son retour, une de ses dames d’honneur, connue pour la légèreté de sa vie, lui a parlé de La Gervaisais : « Chaque fois qu’elle prononçait ce nom, je rougissais... Pourquoi le vice a-t-il assez d’empire dans le monde pour forcer la vertu à rougir ? » A présent, les éloges qu’elle reçoit sur sa sagesse et sa réserve lui causent un indéfinissable malaise : « Ce Dieu que je sers et que j’aime sait si je mérite qu’on prenne mauvaise opinion de moi... Cependant si le public savait que je vous écris, s’il voyait mes lettres et les vôtres ! Mon ami, tous les hommes n’ont pas nos cœurs. Comment serais-je jugée ? Je suis embarrassée comme si j’étais fausse envers eux. »
Ce ne sont encore là que vagues inquiétudes, tourmens d’une conscience délicate, scrupules excessifs, si l’on veut, d’une âme qui, malgré ses efforts, est moins affranchie qu’elle ne croit de la servitude héréditaire des conventions sociales : « Comme je méprise le monde en général, et comme je tiens à ses préjugés ! s’écrie-t-elle un jour avec candeur. Je n’entends rien à ma manière d’être. » Mais voici qui devient plus sérieux : les baigneurs de Bourbon qui sont de retour à Paris ont raconté, amplifié, dénaturé ce qu’ils ont vu ; une légende se forme peu à peu, injurieuse pour celle qui en est l’héroïne. Ce qui se débite ainsi sous le manteau, on l’imagine aisément : « L’idée de l’amitié n’entre dans aucune tête ; pas même celle d’un véritable amour, » car selon l’expression de la princesse, « il n’y a peut-être pas dans Paris dix hommes qui croient à l’honnêteté des femmes ; » et cette fille de sang royal, éprise à vingt-huit ans d’un petit officier de beaucoup plus jeune qu’elle, est un régal unique pour les amateurs de scandale. L’écho de ces rumeurs monte jusqu’à Chantilly. La femme de chambre de la princesse, la vieille et fidèle Lisette, porte, sans le vouloir, le premier coup à sa maîtresse : « Madame, lui demande-t-elle, est-il vrai qu’à Bourbon il y avait un jeune homme qui venait tous les jours déjeuner avec vous ? Quelqu’un m’a dit cela, et, comme j’ai répondu que je ne le croyais pas, on a ajouté : Oh ! c’est peut-être une personne qui se vante. » Je n’ai pas à décrire l’agitation que provoquent ces paroles. L’histoire arrive aux oreilles du duc de Bourbon ; il n’ose en parler à sa sœur, mais, un jour qu’il est seul avec elle, il s’approche avec un brusque élan, la fixe longuement, lui prend les