dorment et, selon toute apparence, dormiront à jamais sur les rayons ignorés des vieilles bibliothèques. Mais, de toute cette littérature, il n’était pas encore question, le jour où, simple lieutenant aux carabiniers de Monsieur, âgé de vingt et un ans à peine, sans illustration et sans fortune, il débarquait à Bourbon-l’Archambault pour soigner un pied foulé par suite d’une chute de cheval, y rencontrait la princesse Louise, et, — la liberté des eaux dispensant de toute étiquette, — entrait presque aussitôt dans son intimité. Rien en lui, au premier abord, ne pouvait faire prévoir le héros de roman. D’un extérieur ordinaire, « point formé aux manières du monde, » timide, méditatif et quelque peu morose, connaissant mal les femmes, dont une récente et précoce aventure l’avait, pensait-il, à jamais dégoûté, La Gervaisais n’avait ni la beauté qui attire, ni la grâce qui séduit, ni l’esprit brillant qui amuse. « J’assure à mon ami, lui écrit un jour la princesse, que s’il voulait faire l’agréable et être bien émoustillé, il aurait l’air assez gauche. » Mais sa sauvagerie même et son dédain du vulgaire fixaient l’attention sur lui ; sur ce front habituellement penché se lisaient des pensées généreuses, de nobles ambitions ; et cette âme fermée, d’où s’échappaient parfois des paroles éloquentes, se révélait ardente, forte, et — comme il dit lui-même — « compatissante aux hommes. » Il était de la race des rêveurs enthousiastes, si puissante sur l’imagination des femmes. Les coquettes les dédaignent, les mondaines passent auprès d’eux sans les voir ; mais, dès qu’on les remarque, ils frappent, et s’ils plaisent, c’est une passion.
La « créature d’exception » que le hasard des circonstances a placée sur le chemin du jeune officier n’est, nous le savons, ni coquette ni mondaine. Tout la dispose au contraire à recevoir une impression fatale à son repos. Le milieu où elle vit ne lui convient en aucune sorte ; elle y reste isolée, dépaysée, comme étrangère ; la langue que l’on y parle n’est pas celle qu’elle entend. Les hommes qu’elle a connus — sans en excepter ses parens les plus proches — n’ont presque rien de commun avec elle ; grands seigneurs blasés et sceptiques, courtisans libertins et frivoles, tous la blessent à l’envi, sans le vouloir et sans le savoir, dans ses goûts, ses croyances, ses sentimens intimes ; leur ironie légère lui est insupportable : « Vous souvient-il encore, — écrira-t-elle par la suite à son père, — des Chastellux et des Bièvre qui me déplaisaient tant, et dont les Bièvreries me rendaient si sérieuse