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un vaste château, dont les débris subsistent aujourd’hui ; l’un d’eux donna à la ville son propre surnom d’Archambault. Les eaux, très abondantes, étaient tenues pour efficaces en certains cas rebelles : paralysies, rhumatismes invétérés, suites d’anciennes blessures. Boileau, Mme de Sévigné, Mme de Montespan en ont célébré les effets ; le grand Condé, après chaque campagne, allait y prendre un temps de repos. Un rempart de collines rend la température égale ; « les zéphyrs seuls y agitent l’air » ; de belles promenades ombreuses, dont l’une plantée par Gaston d’Orléans, contribuaient, au siècle dernier, à l’agrément des baigneurs. Tel était le séjour où Mme de Condé, débarquée, après deux jours de poste, le 25 juin 1786, se proposait de passer six semaines. Elle s’y logea dans une maison appartenant au chevalier d’Allarde, aussi petite que confortable, entourée d’un jardin « tout juste grand comme celui d’un hermite », que bordait une charmille de quinze pieds de hauteur. Elle fut, dix jours après, rejointe par son père, qui s’était, comme il dit, « sottement avisé d’être malade » d’une affection bilieuse, et que les médecins, à son grand désespoir, condamnaient également au traitement de Bourbon. Les lettres quotidiennes, qu’il adressait, du fond de son exil, à Mme de Monaco, nous permettent de suivre, presque heure par heure, l’existence journalière des augustes baigneurs. Le prince décrit avec détail son arrivée dans la ville, l’accueil « attendri » qu’il reçoit de sa fille, venue dans son carrosse à deux lieues au-devant de lui, la fermentation des habitans, vivats, illuminations, harangues, escorte de la milice bourgeoise. Puis, le lendemain matin, présentation des « buveurs et buveuses » de marque : Mme de Sainte-Colombe, de Nantouillet, de Sainte-Hermine et de Montalembert ; MM. de Choiseul, de Chanteloup, de Damas, de Nogent, le marquis de la Gervaisais, et ce jeune chevalier d’Allarde, chez qui loge la princesse, et qui semble avec elle « en grande familiarité, honnête cela va sans dire. Vous imaginez, conclut-il, combien je vais me divertir dans cette société-là ! Mais il faut bien subir son sort. »

La vie des eaux, au temps passé, ressemblait fort à ce qu’elle est à présent ; le tableau qu’en tracent le prince et sa fille pourrait à peu de chose près être daté d’aujourd’hui. C’est la matinée commencée de bonne heure, absorbée par le traitement, bains, douches et massage ; puis la « promenade de santé « jusqu’au premier repas ; l’après-dînée consacrée au jeu, échecs, trictrac