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à Saint-Maur, partout où les médecins les envoient, surveille leurs moindres malaises, « échauboulures » ou maux de dents, et s’en fait rendre compte avec une tendresse inquiète. Ses lettres à son mari sont pleines de ces détails domestiques. Elles nous renseignent aussi, ce qui est plus précieux, sur les dispositions premières du frère et de la sœur, qui, bien qu’élevés ensemble et de la même façon, présentent dès ce moment le plus complet contraste. L’un, bien portant, vigoureux, avec « les plus belles couleurs du monde », se montre turbulent, bruyant, emporté : « Mon fils, avoue-t-elle, est d’une méchanceté affreuse et d’une maussaderie insupportable... Il n’a jamais voulu me regarder et je n’ai vu que son dos... Il a eu une colère qui a duré deux heures, je l’ai fouetté de bonne grâce, cela n’a fait ni chaud ni froid. » La petite Louise au contraire est « douce, charmante et tout à fait raisonnable » ; elle n’a « jamais un moment d’humeur », et « apprend tout ce qu’on veut » ; elle aime ses parens « à la folie » et son frère avec passion. Les détails qu’on vient de lire sur sa mère disent assez de qui l’enfant tenait cette douceur d’âme et cette tendresse de cœur, et le récit que la princesse Louise elle-même a laissé de ses plus jeunes années confirme cette aimable ressemblance : « Les chagrins du petit[1], écrit-elle, m’étaient plus sensibles que les miens ; je souffrais ses petits caprices sans jamais m’en plaindre, de peur qu’il fût grondé ; et quand il me battait, emporté par sa vivacité, et qu’on s’en apercevait, je disais pour l’excuser qu’il ne l’avait pas fait exprès, et je pleurais du chagrin qu’on lui faisait à cause de moi. »

On voit, par ce tableau rapide, quelle heureuse et souriante image présentait, après quelques années de ménage, l’illustre famille de Condé. Le prince, adoré de sa femme, influent dans les conseils du Roi, considéré dans l’armée pour ses précoces talens militaires, entrevoyait déjà, dans ses espoirs ambitieux, le « brin de laurier » qu’il brûlait d’ajouter aux trophées de son glorieux ancêtre. La princesse, par sa grâce naïve et son exquise beauté, triomphait aisément des quelques jalousies qu’elle avait au début rencontrées à la Cour[2]. Louis XV, qui appréciait fort, — si étrange que semble l’assertion, — la société « des femmes vertueuses

  1. C’est le surnom que le duc de Bourbon portait dans sa famille, et qu’il conserva longtemps. La princesse Louise, dans ses lettres, ne l’appelle jamais autrement.
  2. Notamment de la part des filles du Roi.