autorité politique, régnaient des religions aussi différentes et aussi nombreuses que les peuples qui l’habitaient. Mais une chose leur était à toutes également inconnue, c’était l’esprit de prosélytisme et de propagande dont le moindre chrétien était animé. Chaque province d’ordinaire avait gardé son culte national, que la conquête impériale avait eu le bon sens de lui conserver. Si un autre culte en honneur ailleurs y était importé par des émigrans ou des voyageurs, on lui faisait facilement sa place, les cadres du polythéisme étant et assez larges et assez élastiques pour que la divinité nouvelle fût admise au cénacle des anciens dieux : on pouvait garder les deux cultes ensemble ou passer de l’un à l’autre, sans qu’aucune abjuration fût nécessaire, et sans être accusé d’apostasie. A Rome même où, les cultes étrangers étant longtemps l’objet d’une interdiction nominale, les superstitions orientales durent recourir, pour s’introduire, à des initiations clandestines, jamais les mystères murmurés dans l’ombre ne demandèrent à leurs adeptes de rompre avec le culte officiel, public ou domestique. Isis, Cybèle ou Mithra ne songèrent point à déposséder Jupiter, ni à bannir les Lares et les Pénates des foyers d’aucune famille. Il y avait ainsi entre toutes les religions de l’empire une sorte de compromis tacite qui leur interdisait de s’attaquer mutuellement et de se faire tort l’une à l’autre.
L’administration impériale, loin de songer à rompre ce pacte de support mutuel, le favorisait au contraire, et l’aurait imposé s’il n’eût pas été conclu naturellement, car elle y trouvait un excellent instrument de règne. L’accord de la multiplicité des cultes était ce qui pouvait le mieux convenir pour les maintenir à la fois dans l’ordre et dans l’obéissance. Leur imposer à toutes un même symbole eût été une entreprise au-dessus des forces humaines, mais leur diversité, si elle eût abouti à une lutte entre elles, n’eût pas rendu non plus la tâche du gouvernement facile. C’était déjà une difficulté et presque un tour de force que de faire vivre dans une soumission commune l’unité composite de tant de nationalités différentes. Mais quelle difficulté nouvelle n’y eût pas été ajoutée s’il y avait eu un conflit entre toutes les formes de la pensée religieuse ! Des controverses et des prédications contraires partout engagées, des temples, des autels, des idoles se disputant partout les fidèles, les victimes et l’encens, toutes les superstitions et tous les fanatismes ainsi mis aux prises, c’eût été une discordance, une cacophonie qui aurait